Léon Askenazi « Manitou »

manitou-routier_Oran« (…) Immédiatement après la guerre, je suis revenu en France et commença alors une deuxième étape de ma vie.

Encore à l’Armée, sur le front d’Alsace, j’avais reçu, comme tous les chefs des Éclaireurs israélites, une circulaire de Robert Gamzon (dont le « totem » scout était Castor), fondateur du mouvement, parlant de ses projets d’avenir pour la reconstitution de la communauté juive en France après la victoire.

En France même, l’immense majorité des dirigeants communautaires avaient été massacrés par les nazis et Robert Gamzon, reprenant un projet conçu, dans ses grandes lignes, par Gilbert Bloch, ancien polytechnicien tué par les Allemands en 1944 lors d’une action de Résistance, prévoyait la création d’une école de cadres pour reconstituer la structure de la communauté.

orsayCastor nous demandait de consacrer un an de notre vie, avant de commencer nos études, à nous regrouper pour étudier ensemble les sources du judaïsme et comprendre ce qui nous était arrivé.  Il souhaitait également que nous devenions les cadres militants de la reconstitution de la communauté en France.

Je me souviens encore de cette soirée où je reçus sa lettre alors que j’étais encore sous la tente pendant le terrible hiver 1944 en Alsace, quelque temps avant le passage du Rhin. J’ai immédiatement répondu que j’étais prêt à rejoindre ce groupe, ce que j’ai fait d’ailleurs après la guérison de mes blessures.

À cette époque, nous découvrions le fait sioniste et tout ce qui se préparait, mais l’objectif était surtout d’établir un lien avec la réalité d’Erets Israël et de reconstituer la communauté juive francophone (…) »

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Deux poèmes inédits de Léon Askénazi

Le Mystère du Mur
Yech = Kir (Il y a = Mur)

Ce mystère est un secret. Depuis toujours, le mur attendait le geste créateur qui permettrait à la Face de rencontrer la Face. Depuis toujours, les deux visages du mur étaient séparés. Ils pleuraient et leurs larmes ruisselaient à la face des cieux. Ils pleuraient et les voix du silence disaient que ce mur était le mur des pleurs. Les larmes tombaient infiniment et fertilisaient la terre. Larmes de feu, larmes de pluie, larmes de vie. En arrivant à terre, chaque goutte de pleur éclatait en sanglot, et les voix du silence vibraient de leur clameur : Où es-tu, Bien-aimé : où es-tu Bien-aimée !… Et c’était comme le deuil d’un veuvage avant les fiançailles !…

Un jour, dans le long temps des jours, l’infiniment Secret, l’infiniment Mystérieux, l’Enigmatique, l’Ancien des Jours, décida de mettre fin à la souffrance des Visages de la Solitude. Il tira l’épée magique de son fourreau d’éternité, et dans un soupir dont l’écho se fait encore entendre, il fendit le mur en son milieu et en retourna les brisures, Face à Face. Celles de l’extérieur se rencontrèrent enfin ; et la lumière fut.

Mais le cœur du mur était brisé. Le bonheur d’être de l’étreinte infinie au séjour de l’Unique, devint le malheur originel des nouvelles Faces extérieures : celles de la création seconde qui mène à la gloire de la rédemption pour la première création. Ce malheur deuxième était d’autant plus grand pour le cœur séparé, que la cause réelle de son drame était cachée, secrète, énigmatique, mystérieuse. C’était le mystère d’un secret dont la porte fut gardée par l’ange à l’épée tournoyante ; celle qui trace en cercles les haies de l’interdit. Les voix du silence appellent cela le Paradis perdu, afin que le visage rencontre le visage.

Cependant, une fois par éternité, à l’horloge de la loi des Temps, les visages perdus se retrouvent un instant. Au dehors, dans le séjour des nombreux, le tonnerre et la tempête des anciennes figures de la solitude éternelle éclatent de terreur d’avoir à retrouver l’infinie séparation. Elles hurlent à la vie ; et c’est cela, le bruit du monde.

Mais à l’intérieur du séjour de l’Unique, nous nous sommes reconnus ; nous nous sommes retrouvés et le mystère se fait miracle ! Bonjour, au revoir ; à bientôt, pour un autre instant d’éternité ; quand les temps seront murs.

A l’hôpital, 2.01.96
Manitou

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La couronne de lune


Or, pour que l’espace du monde puisse apparaître ; un point de l’absolu s’est vidé de son âme. Entre Dieu et son Nom, en effet, où trouver la demeure du monde, dans l’infini de l’infini ? Mais de la tragédie de ce point primordial, à qui nous devons d’exister, personne n’ose parler.

Les savants disent que le néant avait précédé l’être. Les Sages révèlent que l’inverse était vrai. L’histoire du monde, avant son commencement, fut celle d’un sacrifice inouï, dont nul ne porte le deuil, tant il est grand : l’oubli du commencement.

De la mort d’un point de l’Être, était né l’Espace, sombre, vide, angoissé comme une tombe. Cependant, cet espace de solitude devint la matrice des mondes à venir : la tombe était berceau. Dès l’instant premier, le souffle qui soufflait sur la face de l’abîme, avait fait jaillir des profondeurs de la nuit le cri de l’âme absente : Qu’il y ait lumière ; Que je revienne à moi !

*

Au commencement était le cri. La voix qui brisa le silence éternel, était le cri de l’âme disparue. Et je l’entends parfois, les soirs où se cache la lune.

Plainte vraie, profonde et terrible ; elle fut donc exaucée. Mais la lumière ne revint qu’en traces d’étincelles et de lueurs atténuées. Il fallait que l’espace du vide préserve le vide de l’espace.

C’est depuis lors qu’un monde est nommé du nom de l’âme qui lui manque. Les savants disent qu’il s’agit de l’idéal, trace de vide de la vertu qui manque encore. Les vivants, eux, parlent de l’amour, appel éperdu de l’âme disparue.

Manitou

 

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