À l’ombre d’Edmond Fleg

Très tôt, Robert Gamzon s’était assuré un appui de premier ordre : celui d’Edmond Fleg, l’écrivain juif français dont la notoriété s’étendait bien au-delà de la France et de l’Europe. L’auteur de « l’Enfant Prophète » était alors préoccupé, comme nous le sommes aujourd’hui encore, par le vide spirituel que notre génération risque de laisser après elle.

Au premier contact il vit en Gamzon un continuateur et un animateur providentiel, Chez lui, le terme animateur provenant de ‘anima’ (âme), prenait tout son sens. On avait grand besoin de ces éveilleurs d’âmes, tel ce jeune ingénieur sortant frais émoulu des Hautes Ecoles Techniques et pénétrant, avec tout son enthousiasme, dans la vie juive si exaltante, mais aussi pleine d’embûches.

Edmond Fleg, comme Théodore Herzl, André Spire et d’autres grands esprits, avait été sensibilisé par l’Affaire Dreyfus. Il prit alors conscience de sa vocation juive à laquelle il demeura fidèle pour le restant de ses jours.

Issu d’une famille alsacienne venue s’installer à Genève après la guerre franco-allemande de 1870, Edmond Fleg avait été imprégné, dans son enfance, de culture française quelque peu teintée de judaïsme. Il compléta ses études à Paris où il s’établit définitivement dès avant la première guerre mondiale et, fidèle à la tradition familiale, il combattit en qualité de volontaire dans l’armée française.

Une de ses oeuvres marquantes, brève mais dense, qui est un acte de foi émouvant, porte le titre : « Pourquoi je suis Juif ». Dans ce livre édifiant, dédicacé « à mon petit-fils qui n’est pas encore né », l’auteur explique avec force et clarté à son descendant éventuel, les raisons de sa propre fidélité au judaïsme. Hélas, l’interlocuteur supposé, l’héritier tant souhaité et déjà nanti d’un riche legs spirituel, n’a pas vu le jour, car les deux jeunes fils d’Edmond Fleg sont morts tragiquement en 1940, presque en même temps, l’un sur le front et l’autre à Paris.

Lorsque Gamzon alla voir l’écrivain, celui-ci se trouvait dans sa période la plus productive. Français comme lui, fier et heureux de servir la cause juive, le jeune homme parla de son mouvement et en proposa la présidence à Edmond Fleg qui accepta, déclarant même : « tous les enfants juifs, quelle que soit leur éducation familiale et juive, doivent pouvoir être E.I. Aucun cloisonnement n’est admissible.»

Ce fut le début d’une longue, affectueuse et fructueuse collaboration. Dès lors, un nouveau titre s’ajouta à la gloire d’Edmond Fleg, celui d’inspirateur et de conseiller du mouvement E.I.F., son Président d’Honneur, en deux mots :

« Chef Fleg »

« Que la jeunesse créatrice de l’Eternel habite chacun de vos instants», écrivait-il à ses éclaireurs, dans une période cruciale. «Que jamais ni dans les pratiques de la religion, ni dans celle de la famille ou de l’amitié, ni dans l’accomplissement de vos devoirs de citoyens ou d’hommes, ni dans le plus humble travail, ni dans le plus humble plaisir, les froids mécanismes de l’habitude n’éteignent en vous l’étincelle créatrice qu’y alluma le reflet de la divinité ».

Gamzon avait ainsi assuré longue vie à son mouvement. Edmond Fleg, de son côté, se sentit étrangement privilégié puisqu’il voyait et vivait sa postérité…

Les deux hommes, modestes et croyants tous deux, étaient faits pour se comprendre. L’aîné avait été ramené autrefois dans le giron de ses ancêtres. Il en avait profité, approfondissant la pensée juive d’abord pour lui-même, l’enseignant ensuite et la précisant dans ses livres sous une forme à la fois traditionnelle et personnelle.

L’autre, le cadet, entièrement acquis à cet enseignement, en tirait le suc qu’il distillait par voie directe à une jeunesse vibrante. Il donnait corps et vie à la pensée du maître, ou du chef, comme il l’appelait désormais.

Le petit-fils d’Edmond Fleg « qui n’est pas encore né » et qui ne naîtra jamais, dont l’écrivain et sa compagne portaient dignement et silencieusement le deuil, se trouvait là compensé, sublimé. Avec son affection toute filiale et sa totale adhésion spirituelle, Robert Gamzon apportait au maître des centaines, des milliers de petits-fils qui allaient chanter l’hymne dont Fleg écrivit les paroles.

Les E.I.F. témoignaient au chef vénéré leur attachement et leur gratitude en toute occasion. Dans leur principale maison d’enfants, muée après la guerre en un internat de formation professionnelle, ils édifièrent une bibliothèque « Daniel et Maurice Fleg ». Plus tard, du vivant même de l’écrivain, ils plantèrent à son nom une forêt en Israël.

Dans son allocution de remerciement, embrassant du regard l’assistance composée surtout de jeunes gens et de jeunes filles, le vieillard, tout de bienveillante noblesse, leur dit son émotion à la pensée qu’un jour prochain ils viendraient, là-bas, se reposer à son ombre…

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