Une chaîne de joie et d’amitié

Fort de l’approbation sans réserves d’Edmond Fleg, Robert Gamzon lustra ses ailes et s’élança vers de nouvelles conquêtes. Cette fois, c’est l’espace qui le tenta. Une unité E.I. existait déjà à Mulhouse, mais il avait appris qu’avec l’aide de scouts catholiques et protestants, une troupe d’éclaireurs juifs avait été formée à Strasbourg, cette « citadelle du judaïsme ».

Pourquoi, se demanda-t-il, deux mouvements d’éclaireurs juifs dans le même pays ? Ne valait-il pas mieux fusionner ? Mais les Alsaciens se montrèrent jaloux de leur autonomie. Il fallut toutes les ressources dialectiques dont disposait Gamzon pour venir à bout de la résistance strasbourgeoise. Finalement, tout le monde trouva son compte dans la fusion. Une « hora » endiablée scella cette mémorable discussion.

Ayant conquis l’Est, ce qui augmenta substantiellement les effectifs du mouvement et le consolida, Castor se tourna vers le Midi. Au-delà de la Méditerranée, en Afrique du Nord, une importante communauté juive vivait, politiquement et spirituellement liée à la Métropole. Très attachée aussi aux traditions ancestrales, elle recélait une jeunesse ardente et sans doute disponible. Il y avait là un trésor à découvrir. Castor y alla.

Le trésor l’y attendait. Il n’eut qu’à le cueillir. Les groupes nombreux et enthousiastes d’E.I.F. ne tardèrent pas à essaimer un peu partout en Algérie, en Tunisie et au Maroc.

Ainsi, en Afrique du Nord comme en France, des chants religieux et  » ‘haloutziques  » (du mot ‘Haloutz : pionnier d’Israël), retentirent les jours de sortie scoute sur les routes et dans les bois. Un lien fraternel s’était forgé entre jeunes juifs des deux continents qui maintenant se reconnaissaient par leur uniforme, leurs refrains et leurs objectifs communs.

Puis il y eut un recrutement imprévu venu de l’extérieur. Depuis toujours, les malheurs de telle communauté juive obligée de se disperser, augmentaient les effectifs de telle autre. Au début de 1933, Hitler prit le pouvoir en Allemagne, supprimant toutes les libertés démocratiques et décrétant un antijudaïsme d’Etat. Aussitôt, les Juifs allemands furent l’objet de toutes sortes de mesures discriminatoires les obligeant d’émigrer en masse.

Bon nombre d’entre eux s’installèrent en France, de sorte que de nouveaux jeunes vinrent grossir les rangs des E.I.F. Il y eut là des recrues fort intéressantes dont la plus remarquable était sans conteste Léo Cohn. Le Mouvement lui doit un bond en avant inespéré. Bien qu’il eût pris de l’extension et se fût assuré des appuis dans divers milieux, il n’en manquait pas moins de consistance.

L’esprit y était, les techniques se perfectionnaient, mais la substance juive demeurait maigre. Léo y remédia providentiellement .

C’était un jeune juif allemand nouveau style. Très pieux, artiste dans tout ce qu’il entreprenait, il se révéla un ‘Hassid (en hébreu : fidèle, fervent) de la plus belle eau. A la science et au savoir-faire germaniques, il joignit des qualités d’entraîneur hors pair. Castor, qui savait repérer des collaborateurs de choix, fit de Léo son alter-ego et même son maître.

Celui-ci amplifia et approfondit le contenu judaïque du Mouvement. Aidé par son épouse, musicienne comme lui, Léo organisa des offices chantants, des réunions Chabbatiques de qualité. Il dirigea une chorale, enthousiasma les jeunes par des airs ‘hassidiques importés de l’Europe orientale, mit au point des fêtes, initia maints jeunes au savoir juif et finit par s’imposer à tous grâce à sa vitalité, son esprit de service, son obstination de bon aloi.

Paradoxalement, alors qu’une aube noire se levait sur l’Europe, une ère nouvelle s’ouvrit pour le Mouvement, ère de prospérité et d’euphorie. Les plus fermés parmi les dirigeants de la communauté, durent admettre l’apport positif des boy-scouts juifs. Un rabbin, mi-bougonnant, mi-admiratif, nomma ce nouveau développement : « le Léo- » ‘hassidisme « . L’appellation E.I.F. était encore israélite, mais le fonds s’affirmait juif, par l’atmosphère des réunions et leur contenu.

Aujourd’hui encore, assis en rond autour d’un feu de camp, des jeunes de 12-13 ans, un peu ébahis par les événements qui ont marqué le début du Mouvement, écoutent avec intérêt les anciens leur parler de cette époque.

Ah ! Ces « ongué-chabbat » des années 30 dans les locaux de la rue Vital ou en plein air ! Ce n’étaient plus les quelques chants-toujours les mêmes-timidement égrenés, mais des airs en grand nombre lancés à tous les vents par une jeunesse à la fois disciplinée et libre, unie dans la diversité. Quel merveilleux amalgame on trouvait là ! Et quelle pépinière d’animateurs et d’animatrices !

Voici une ravissante Séfardite, de seize ans tout au plus, qui mène le jeu avec un entrain communicatif.

Les « numéros » se succèdent. Ils sont connus et suivis par tous. Les airs nés dans la cour de quelque rabbi d’Ukraine ou de Podolie, sont repris par l’ensemble des jeunes comme s’ils n’avaient jamais chanté que cela. La gaîté et la tenue de ces agapes étaient chabbatiques, dans le sens le plus élevé et le plus pur du terme.

Et quel accueil réservé aux « visages pâles » (les invités non scouts) par les jeunes chefs dont l’un, d’origine russe, allait être déporté quelques années plus tard…

Ces « clairs Chabbat » se déroulaient ainsi à Paris et à Strasbourg, à Alger et à Casablanca, en une chaîne de joie et d’amitié.

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