Jean Weill

jean_weillJean Weill,
un EI au maquis non-juif

UN JEUNE GARÇON TOUJOURS TRÈS ACTIF

SA JEUNESSE À MULHOUSE
Le cadre familial

Issu de deux familles installées en Alsace bien avant la Révolution Française, c’est tout naturellement dans cette région, à Mulhouse, que naît Jean WEILL le 22 août 1919. Son père Jacques et sa mère Henriette sont respectivement natifs de Biesheim et Rixheim.

Schangala est un enfant très inventif et ne manque jamais une pitrerie au grand dam de sa grand-mère maternelle, Thérèse, qui les garde lui et sa jeune soeur Odette. Mais c’est un vrai posche Isroel ce qui contrarie souvent ses parents.

Le père de Jean est grossiste dans le domaine de l’alimentaire. Les affaires sont plutôt bonnes. Mais cette prospérité ne dure pas, Jacques Weill est trompé par son associé qui disparaît avec la caisse et le compte en banque. Les parents de Jean sont donc contraints de travailler chacun de leur côté : sa mère est vendeuse d’abord Au Bon Marché puis Aux Galeries de MULHOUSE et son père devient décorateur puis chef-décorateur dans ce même magasin.

Petit à petit, la situation financière de la famille s’améliore. Les parents de Jean réussissent à dédommager totalement leurs créanciers et décident d’acheter un fond de commerce d’épicerie qui fonctionne bien. Le père de Jean travaille aussi dans la représentation en pâtisserie, domaine dans lequel «il devient vite un des plus cotés des environs». (cf. notes)

Sur le plan religieux, la famille Weill ne pratique pas et fréquente assez peu la synagogue et la communauté juive de Mulhouse. Jean est surtout intéressé par l’histoire juive qu’il étudie en classe lors des cours de religion, obligatoires en Alsace (voir chapitre 2). Les prières ont, par contre, plutôt tendance à l’ennuyer. Le rabbin le prépare tout de même pour sa Bar Mitsvah qu’il fait en août 1932. Cet événement revêt pour lui, malgré son manque d’attachement à la religion, une très grande importance car il compte à présent «pour un homme à part entière dans la Communauté israélite». (cf. notes)

Une scolarité brillante mais vite interrompue

Jean est un bon élève et prend dès ses premières années d’écoliers l’habitude de rapporter de bons bulletins. Ainsi après avoir fréquenté les écoles Wolf puis Nordfeld (en raison des déménagements de la famille), il est admis pour la rentrée 1928 à l’Ecole primaire supérieure «où il fallait de bons résultats antérieurs pour être accepté».

Ses résultats à l’E.P.S. sont toujours très honorables et malgré une année 1931 plus difficile, il obtient son Certificat d’études avec mention. L’obtention de ce diplôme n’est pas pour Jean, comme pour beaucoup d’écoliers, synonyme de fin d’études et d’entrée dans le monde du travail. En effet, il décide de poursuivre son brillant cursus au sein de l’E.P.S. Sa scolarité est pourtant contrariée pendant plus de deux mois durant lesquels il est «pratiquement paralysé [à cause] d’une très forte crise de rhumatismes articulaires». Grâce à une extraordinaire volonté de réussir et à l’aide d’un ami qui lui apporte tous les jours cours et devoirs à l’hôpital, Jean peut retrouver le chemin de l’école et passer en classe supérieure.

Il entre ainsi en 1re Commerciale et y découvre de nouvelles matières qui l’intéressent beaucoup comme la comptabilité et le commerce. Son année se passe bien, tout comme le premier trimestre de Seconde Commerciale. Mais à la suite de «divergences» avec son professeur d’Anglais pour des questions d’accent, il est convenu avec le directeur de l’E.P.S. que Jean serait dispensé de ce cours. Cet arrangement ne l’empêche pas de quitter l’établissement et d’interrompre ses études à la fin de son année de Seconde en juin 1934.

«Pressé de gagner sa vie» et malgré ses brillants résultats scolaires, Jean doit  trouver du travail.

Très tôt dans le monde du travail

Grâce à l’aide de deux de ses amis EI – Claude Bloch et Ralph Weyl – il est engagé chez Valentin Bloch, une entreprise textile dont leurs pères sont les dirigeants. Apprenti de bureau dans un premier temps, il escalade vite les échelons grâce à ses qualités mais aussi à son tempérament et son culot. Ainsi n’appréciant ni son chef de service ni sa tâche, il se rend chez son patron et le menace d’aller travailler chez un concurrent «où [il a] une place retenue s’il ne peut changer de poste»(cf. notes)

Mais une sombre affaire ternit la réputation d’un des associés dont les collègues se défient à présent. Le 31 décembre 1935, la dissolution de l’entreprise est donc prononcée malgré sa bonne santé. Jean promet tout de même à ces anciens patrons de travailler dans la nouvelle firme qu’ils prévoient de créer. Il trouve en attendant un autre emploi au sein d’une entreprise d’articles de bonneterie Solfin. Le travail qui lui est confié comporte, malgré sa jeunesse, des responsabilités importantes. Il gère une partie du département de vente à domicile, dirige quatre personnes à seulement 18 ans et peut enfin mettre en application les théories acquises à l’E.P.S.. Il semble promis à une grande carrière dans cette entreprise. Mais ne voulant pas être parjure, il quitte Solfin – malgré le salaire qu’on lui garantit s’il reste – pour la Nouvelle Société des Impressions d’Alsace, créée par ses anciens patrons de Valentin Bloch, qu’il intègre le 2 janvier 1938. La S.O.N.I.A. est basée à Mulhouse. La ville étant pratiquement sur la ligne de front, la société s’installe à Saint- Maurice sur Moselle (dans les Vosges) suite à la déclaration de guerre le 3 septembre 1939. Jean continue de travailler mais attend sa mobilisation. Il la sait proche malgré un sursis dû au manque d’uniformes. Il reçoit son ordre de route le 12 avril 1940 et quitte donc la S.O.N.I.A. pour rejoindre Clermont-Ferrand.

Avant que la guerre n’éclate, Jean mène de front sa scolarité puis ses différents emplois et sa vie de scout. C’est avec les activités et les camps EI qu’il comble d’ailleurs la plupart de ses moments libres.

LE SCOUTISME : UNE RÉELLE VOCATION
Les premières années

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, Loup-Gris crée un groupe EI à Mulhouse en 1928. Afin de lui permettre de bien fonctionner mais aussi dans le but de rassembler un maximum d’enfants juifs de la ville, les chefs et cheftaines de ce groupe font un recrutement important. C’est Nelly Meyer, l’une des premières cheftaines EI à Mulhouse, qui rencontre les parents de Jean pour leur expliquer ce qu’est le mouvement EI : ses valeurs, ses activités et ses thèmes (indianisme, chevalerie). Ainsi Jean fait son entrée aux EI en tant que louveteau dès la création de la meute.

C’est lors de son premier camp à Wildenstein qu’il fait la connaissance des deux amis – dont nous avons déjà parlé – Claude Bloch et Ralph Weyl. Il reste avec eux dans cette branche pendant deux ans et y découvre la vie d’un jeune scout : la vie dans la nature, les camps sous tente mais aussi la débrouillardise de tous les instants. En 1930 à onze ans, il devient éclaireur au sein de la troupe EZRA. Celle-ci est divisée en plusieurs patrouilles d’une dizaine d’éclaireurs. Comme souvent dans le scoutisme, elles portent des noms d’animaux : celle de Jean est la patrouille des Écureuils dont le CP (Chef de Patrouille) est André Bloch (Flamand philosophe).

En 1933, Jean découvre à son tour le poids de la responsabilité d’une patrouille lorsqu’il devient CP de celle des Lions. Il fait preuve à cette occasion de beaucoup de détermination à accomplir sa tâche le plus sérieusement et le mieux possible. Son important engagement au sein de la troupe EZRA et en particulier de sa patrouille lui vaut d’être totémisé l’année suivante. Compte tenu de sa petite taille et de son très fort caractère, ses chefs – notamment Adrien Gensburger – lui donne le nom de totem, «peu flatteur mais tellement juste», de Moucheron Belliqueux(cf. notes)

Le chef Jean

Jean est devenu en quelques années un EI convaincu et ne jure plus que par le mouvement ; le scoutisme est en effet «au dessus de tous [ses] loisirs». Il a donc la volonté d’y évoluer encore au niveau local. Ainsi, entre 1935 et 1936, est-il actif dans la branche des routiers qui porte le nom de Jean Mermoz «à cause de l’intérêt de ses membres pour l’aéromodélisme». Jean en devient le chef en 1936. (cf. notes)

Cette même année, il est totémisé une deuxième fois car ses chefs pensent avoir été trop méchants en le nommant Moucheron belliqueux. Son nouveau totem est effectivement plus flatteur et souligne son attachement au mouvement ainsi que sa loyauté en amitié. Mais, comme il l’indique lui-même, très peu de personnes l’appellent ou même le connaissent sous le totem de Cougar fidèle.

En 1937, Jean accède enfin au rang de chef de troupe. Il a l’honneur de faire partie, avec son ami d’enfance Ralph Weyl, de la délégation EI au camp-école interfédéral de Cappy (Somme) qui regroupe les mouvements scouts : Éclaireurs de France, Éclaireurs unionistes de France et, bien sûr, Éclaireurs israélites de France.

Durant deux ans, Jean est un chef de troupe très actif et très capable. Il garde néanmoins son caractère très fort et s’oppose durement au Commissaire régional Chameau. En effet «lorsque les premiers éclaireurs de MULHOUSE avaient passé toutes les épreuves de la première classe, y compris les religieuses, le Commissaire régional prétendit les contre-examiner sur cette dernière série. Or, c’est le rabbin de Mulhouse qui nous avait fait passer les tests. Ce fut un tollé général et [j'en appelai] au Commissaire national «Castor», qui chargea la Commissaire locale [Ninon Weyl] de régler le problème»(cf. notes)

Ninon Weyl satisfait les deux parties et il est finalement convenu que l’examen du rabbin de Mulhouse – René Hirschler – suffit à valider l’épreuve religieuse de la première classe. Néanmoins face à  l’obstination de Chameau, Jean avait déjà pris des contacts avec les E.D.F. Malgré cet épisode, ou peut-être même grâce à celui-ci – car il prouve à nouveau la force de son engagement – Jean prend, au début de l’année 1940, la direction du groupe de Mulhouse en tant que Commissaire local. Il n’occupe cependant cette responsabilité que quelques mois car avec la déclaration de guerre arrive pour lui le temps de la mobilisation. (cf. notes)

Jean a 21 ans quand il abandonne les EI et sa ville de Mulhouse pour rejoindre le Dépôt d’infanterie n°132 à Clermont-Ferrand. Sa vie va s’en trouver évidemment bouleversée et son parcours prendre une tournure qu’il n’avait pas imaginée.

PLUS DE DEUX ANS SOUS LES DRAPEAUX

LA DRÔLE DE GUERRE
Sa mobilisation

Jean est incorporé au 54e Régiment d’infanterie dans lequel il retrouve un camarade Scout de France. Composé essentiellement d’appelés, l’ensemble du régiment doit apprendre les rudiments du savoir militaire : salut des gradés, maniements des armes Pendant cette même période, Jean obtient l’examen d’entrée au peloton d’élève-caporal. Cela ne change pas son quotidien car «il n’y [a] pas de grande différence entre [son] peloton et l’instruction en compagnie». Les journées passent et se ressemblent. Ce n’est qu’avec la première grande offensive allemande du 10 mai 1940 que l’instruction s’accélère réellement. (cf. notes)

A la toute fin du mois de mai, le Bataillon de marche 132 est constitué. Promu caporal, Jean, qui ne connaît pas l’état d’avancée des troupes allemandes, apprend sa mission : défendre le Rhône. Le choc est immense : les allemands sont déjà à proximité du Rhône ! Le bataillon marche plusieurs jours pour rejoindre le fleuve. Mais malgré quelques échanges de tirs avec les Allemands, il ne combat pas vraiment. Le repérage des lignes allemandes est difficile en raison de l’absence d’appareils de transmission. Pour les mêmes raisons, les informations circulent mal. La surprise et le désarroi sont donc très grands lorsque le lieutenant du B.M.132 revient de la gendarmerie de Montbrison (ville du département de la Loire) en annonçant «les larmes aux yeux et des sanglots dans la voix» la signature de l’Armistice.

Personne ne veut y croire et pourtant le bataillon doit rendre les armes avant d’avoir réellement pu se battre. L’armée est dissoute et chacun doit rentrer chez lui par ses propres moyens.

Les retrouvailles avec ses parents

Jean qui n’est pas conscient du danger d’une telle expédition décide de rentrer à Mulhouse afin de retrouver sa famille. Accompagné de trois autres alsaciens, il quitte Montbrison «avec comme seul guide la carte du calendrier des P.T.T.». Après quelques jours, ils se séparent et se perdent. Jean doit donc continuer la route seul. Le voyage est long et les villes étapes nombreuses : notamment Lyon, Salins-les-Bains (Jura), Qunigey dans les environs de Besançon. Grâce à la complicité des cheminots de cette dernière ville, Jean peut prendre un train en direction de Mulhouse. Ce sont d’ailleurs ces mêmes cheminots qui lui apprennent l’existence d’une France divisée et d’une Alsace allemande et interdite ; autant de frontières que Jean a traversé sans s’en apercevoir.

Le 3 juillet 1940, il arrive enfin dans sa ville et retrouve ses parents dans de grandes effusions. Mais aux joies des retrouvailles succèdent vite la peur d’une rafle ; en effet la famille Weill est dorénavant une famille juive dans une Alsace allemande. Cette peur se concrétise quelques jours plus tard quand deux hommes, un gestapiste et un S.S. ordonnent à Jean et sa famille de faire leurs bagages. Mais cette rafle n’en est pas vraiment une. En fait, «en représailles du renvoi en Allemagne de plus de 100 000 ressortissants allemands en 1918, les allemands expulsaient de la même façon 100.000 français ou francophiles […] nulle part il n’était fait mention des juifs»(cf. notes)

Tous les raflés sont transportés et débarqués en direction de la Zone Libre, dans le Jura. Après quelques jours, ils sont répartis dans différents villages des alentours. La famille Weill s’installe à Rufffey-sur-Seille (à 13 kilomètres de Lons-le-Saunier) où Jacques, le père de Jean, organise un service d’aide aux réfugiés dont il prend la direction. (cf. notes) De son côté, Jean sait qu’il doit à présent s’occuper de la subsistance de sa famille. Il décide donc de trouver au plus vite un travail. Il sent néanmoins au fond de lui le désir de reprendre la lutte mais il ne sait comment s’y prendre, ni qui contacter car en août 1940, personne n’a encore entendu parler à Ruffey de l’appel du général de Gaulle.

Ses questions ne restent pas longtemps sans réponse. Convoqué à la gendarmerie, on lui signifie «aimablement mais fermement que tous les hommes des classes 1938/3, 1939/1 et 2 [la sienne] se trouvant en zone libre, [doivent] rejoindre leur dernier lieu de garnison». (cf. notes) Espérant pouvoir défendre à nouveau la France (la Zone Libre en fait), il se met donc aussitôt en route vers Clermont-Ferrand.

L’ARMÉE D’ARMISTICE
Le 15-2e : un début de Résistance

Arrivé sans trop d’encombres le 11 août à Clermont-Ferrand, Jean apprend qu’il a été rappelé pour faire partie de l’Armée d’Armistice. Composée de 100 000 soldats français, elle est tolérée par Adolf Hitler qui veut humilier la France comme celle-ci a humilié l’Allemagne après la Première Guerre Mondiale.

Jean est affecté au 152e Régiment d’infanterie de Colmar (appelé le 15-2). Il reste peu de temps à Clermont-Ferrand, sa compagnie (la 5e du 2e bataillon) étant envoyé à Vichy pour devenir le bataillon d’honneur du Maréchal Pétain. (cf. notes) Ce rôle permit à ces troupes de montrer leur opposition à l’ennemi et à la signature de l’armistice. Jean Weill a retenu quelques exemples : «Il y avait à Vichy une partie de la commission d’armistice composée d’allemands que les troupes devaient saluer en passant devant l’hôtel qu’ils habitaient. Quand on était en corps constitué, nos officiers nous faisaient faire tête gauche, tête droite en passant devant eux et nous faisaient chanter, même hurler, le chant de l’Alsace-Lorraine […] Les fois suivantes, les unités passèrent en hurlant la marche du 15-2 (…) : «Salut aux pays annexés dont le coeur reste bien français» (cf. notes).

A chaque fois des plaintes contre les Diables Rouges sont déposées par la commission d’armistice auprès des autorités françaises pour interdire ces chansons. Le 15-2 qui n’est pas non plus très pétainiste se retourne alors contre le Maréchal en chantant la version anglaise de Maréchal nous voilà : «Maréchal, halte là ! Malgré toi nous serons là !» (cf notes)

Une nouvelle illustration de l’opposition du 15-2 au Maréchal survient à la suite de la promulgation par le gouvernement de Vichy du statut des juifs, le 3 octobre 1940. Celui-ci interdisant aux Juifs d’être soldat, Jean va voir le lieutenant de Chabot -  avec qui il a de très bonnes relations – pour lui signifier son départ. La réponse du lieutenant ne se fait pas attendre : «Tant qu’il y aura une armée française digne de ce nom, et que j’en ferai partie, il n’y aura pas plus de juifs que de beurre au C !» (cf. notes) En quelques mots, il résume sa pensée : «Pétain est un vieux C entouré de généraux battus». Jean reste donc dans l’armée et écope même d’une punition pour avoir douté du 15-2.

Mais Jean ne veut pas se contenter de son rôle de militaire, il n’a en effet rien perdu de son attachement aux EI même s’il n’a pu participer à aucune activité depuis plus d’un an. Ainsi lorsqu’il apprend que Henri Wahl et le rabbin Samy Klein veulent créer un groupe à Vichy, il décide immédiatement de les aider dans cette tâche. Jean participe activement et avec joie aux activités et aux réunions auxquelles il peut se rendre grâce à l’accord du lieutenant de Chabot, lui-même ancien chef Scout de France.

Jean redevient donc chef EI presque à chacune de ses permissions. Ce n’est qu’en mars 1942, qu’il est contraint de cesser définitivement toute activité scoute. En effet en raison des nombreuses vexations commises par les Diables Rouges contre les allemands et les autorités de Vichy, ces dernières envoient l’ensemble de la compagnie dans la région de Montluçon pour surveiller la ligne de démarcation. (cf. notes)

Leur mission, empêcher quiconque de traverser la ligne, se révèle en fait pour Jean et ses camarades un moyen de mener discrètement de petites actions de Résistance. Dans un premier temps, ils se contentent de laisser passer les paysans de la Zone Occupée qui viennent se ravitailler en Zone Libre. Mais très vite les actions prennent une réelle importance politique. Un colonel, venu «inspecter» la compagnie, questionne le sergent Dumortier et le caporal Jean Weill «sur [leur] état d’esprit vis à vis de Pétain et des allemands. L’examen [doit] être positif car, à brûle-pourpoint, il [leur] demande [s'ils accepteraient] d’aider des prisonniers et d’autres personnes à franchir la ligne de démarcation. Ce fut un «Oui» franc et massif» (cf. notes).

Un stratagème est donc mis au point afin de permettre un franchissement discret la ligne de démarcation : «Deux hypothèses : quelqu’un essayait de passer le pont en fraude. Nous devions alors l’aider au mieux, l’héberger en secret et téléphoner à un numéro de téléphone à Clermont-Ferrand. On ne devait parler exclusivement [qu'au colonel] ou à un lieutenant dont il nous indiqua le nom […] Ou bien on serait avisé par téléphone qu’un «passage» était prévu et on l’aidait et l’hébergeait jusqu’à l’arrivée du chauffeur».

Plusieurs personnes parviennent à passer en Zone Libre grâce à l’aide du 15-2. Jean est satisfait de pouvoir les aider à rejoindre le Général de Gaulle et les Forces françaises libres. Il pense même qu’ils «[auraient] sûrement réussi à améliorer la filière, si l’on avait pas été si près du 11 novembre 1942».

La clandestinité

Le 8 novembre, les Alliés débarquent en Afrique du Nord entraînant malgré eux l’annexion par les allemands de la Zone Libre le 11. Encore une fois, l’armée française ne peut pas défendre son territoire et c’est sans avoir réellement combattu que le 15-2 doit abandonner sa caserne, envahie par l’ennemi à la fin du mois.

L’ensemble de la compagnie est alors démobilisé. Jean, après plus de deux ans de service armé,  veut retourner chez ses parents mais sait qu’il risque la mort si les allemands l’arrêtent en possession de papiers d’identité au nom de Weill, son nom trahissant son judaïsme. Son lieutenant lui confectionne alors un vrai-faux livret militaire au nom de Jean Parrain, né à Ruffey-sur-Seille grâce auquel il peut circuler en attendant d’avoir de nouveaux papiers d’identité.

C’est difficilement, plus en raison du peu de trains que des barrages allemands, que Jean arrive à Ruffey où il a la joie de retrouver ses parents. Il reste peu de temps inactif et décide de trouver du travail. Il a d’ailleurs beaucoup de mal en raison du Statut des juifs qui l’empêche d’exercer certains métiers ; notamment ceux liés à la comptabilité qu’il connaît bien. C’est donc auprès des paysans locaux qu’il trouve différents petits boulots.

Mais en mai 1943, Jean est à nouveau contraint de partir. En effet, il reçoit un télégramme du préfet du Jura lui enjoignant de rejoindre l’organisation TODT à BREST dans le cadre du S.T.O. Conscient que sa judaïté sera découverte dès la première visite médicale, Jean décide de ne pas s’y rendre. Il écrit à sa soeur Odette, employée comme nurse chez le patron d’une grande exploitation agricole de Savoie, pour qu’elle lui trouve une cache sur place. Sa réponse ne se fait pas attendre : «Viens». (cf. notes)

Le voyage pour Gilly-sur-Isère n’est pas sans danger. La ville est dans la Zone italienne et les Allemands contrôlent fréquemment les voyageurs. Ce n’est d’ailleurs que grâce à la présence d’une souris grise (une soldate allemande) dans le train que Jean, toujours porteur d’une carte d’identité au nom de Weill, évite un contrôle qui lui aurait sans doute été fatal. En effet les soldats, occupés à plaisanter avec la demoiselle, oublient de vérifier le compartiment de Jean. Cette grosse frayeur mise à part, le voyage est assez calme et Jean arrive à la ferme de Paul Pilotaz au soir du 2 juin 1943. (cf. notes)

A la ferme, Jean travaille comme ouvrier agricole en compagnie de trois républicains espagnols et deux autres réfractaires du S.T.O. Les sympathies gaullistes de monsieur Pilotaz et des habitants de Gilly ne sont pas un grand secret. Mais dans un souci de sécurité, un secrétaire de mairie résistant fait à Jean une nouvelle carte d’identité établie, grâce à son livret militaire, au nom de Jean Parrain. Par ailleurs une consigne stricte est donnée à tous les employés de la ferme : oublier le lien de parenté d’Odette et Jean.(cf. notes)

Jean écoute Radio-Londres avec Pilotaz et parvient ainsi à se tenir au courant de l’avancée des Alliés. Il apprend le débarquement en Sicile et la chute de Mussolini fin août 1943. Loin d’être synonyme de libération pour la Savoie, elle entraîne l’invasion de la région par les allemands qui lancent dès octobre des rafles contre les jeunes pour le travail obligatoire.

Paul Pilotaz, que Jean soupçonnait déjà d’être résistant, va le voir et lui dit : «Jeannot, vous êtes juif, alsacien et gradé d’infanterie confirmé, je pense que vous n’aimez pas les allemands. Êtes-vous prêt à reprendre le combat ? ». La réponse est spontanée et sans équivoque : «Oui, Monsieur».(cf. notes)

LA LUTTE ARMÉE

L’ARMÉE SECRÈTE DE SAVOIE
Les premières missions

Il se passe environ trois semaines avant que Jean ne se voit confier une première mission. Il doit aller à Albertville pour chercher un pli. Les consignes sont très claires : aller au café de la Gare, le journal Le Nouvelliste à la main, s’asseoir près d’une fenêtre, fumer une cigarette. Un individu doit lui demander du feu et Jean lui répondre «c’est pourquoi ?». Tout se passe comme prévu, l’homme lui glisse le pli dans le journal. Jean retourne alors à la ferme et laisse le pli sur sa table de chevet après l’avoir précisé à son patron.

Jean effectue plusieurs missions du même genre entre décembre et mars. Il les accomplit toujours avec beaucoup de sérieux, même s’il les trouve «un peu simples» et qu’il envie «tous ces types qui [font] la vraie guerre». Cela ne l’empêche pas d’avoir de vraies sueurs froides. Comme le jour où se promenant à Albertville (alors qu’il n’est pas en mission), il est pris dans une rafle. Ayant surpris une conversation entre deux gradés allemands, il comprend qu’ils cherchent «Ein großer Blonder mit einer Windjacke» («Un grand blond avec un anorak»). Il est donc relâché après un contrôle d’identité et quelques heures passées debout dans le froid. (cf. notes)

Après cette événement, Jean accomplit quelques missions de courrier avant de se voir confier un poste plus important : la réception des parachutages ainsi que leur transfert vers les groupes d’action des environs. Pour ce nouveau rôle, il a une équipe sous ses ordres. Comme à l’époque du scoutisme, il a donc de très grandes responsabilités. Cela le réjouit mais l’expose encore un peu plus aux dangers inhérents à la Résistance.

Ainsi lors d’une livraison de deux fusils mitrailleurs dans un ballot de fumier, Jean rencontre un soldat allemand paysan dans le civil. Celui-ci propose à Jean de l’accompagner jusqu’à sa destination finale. Heureusement il n’a pas l’idée de vérifier ce qu’il y a dans le ballot de fumier et Jean peut donc, après avoir quitté son allemand, mener à bien sa mission.

Quelques jours plus tard, Jean faillit encore être arrêté. Se rendant à Albertville en vélo pour y livrer quatre colts, répartis dans ses sacoches, il est stoppé par un barrage de gardes mobiles à l’entrée de la ville. Le chef, d’un coup, comprend de quoi il retourne et [lui] dit, pour ses hommes : «Fous le camp, il se ne passe pas de marché noir ici, la prochaine fois, je t’arrête !». Comprenant aussi vite que lui, [il] fout le camp. [Ses] colts [sont] emmenés le lendemain à destination». (cf. notes)

Jean continue ses réceptions de parachutages ainsi que ses livraisons jusqu’à ce qu’après le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, il ne reçoive l’ordre de rejoindre le maquis du col de Tamié avec le grade de sergent.

Le maquis

Le sergent Jean PARRAIN est l’un des seuls à avoir des connaissances militaires ; il est donc naturellement désigné pour l’instruction des nouvelles recrues. Pourtant après quelques jours, un des chefs du maquis lui ordonne de rentrer chez lui. En effet «les services de LONDRES, français ou alliés, n’étaient pas très chauds pour un armement rapide, de peur de provoquer des attaques non coordonnées à des moments mal choisis (…) [De plus] les Anglais mirent longtemps à croire à l’existence et à l’efficacité des maquis»(cf. notes)

Mais Moucheron belliqueux – toujours très fort de caractère et ayant une grande envie d’en découdre avec l’ennemi – refuse absolument de quitter le maquis. Il faut toute la persuasion de Monmon (Edmond Ract, un de ses copains sous-lieutenant du maquis) pour le convaincre de s’exécuter et de retourner à Gilly. Ce n’est que début août que Jean reçoit à nouveau l’ordre de rejoindre à nouveau le col du Tamié, avec son groupe et tout l’armement dont il dispose. Il apprend qu’il appartient dorénavant à la 7e Compagnie du 3e Bataillon de l’A.S de Savoie avec laquelle il participe à plusieurs opérations armées : notamment des sabotages de pylônes électriques et de voies ferrées dans la région d’Albertville. Cette action annonce l’attaque prochaine de la ville.(cf. notes)

Celle-ci, orchestrée par le Bataillon Bulle, débute le 20 août. Les combats sont rudes. Les obus de mortier allemands deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure de l’avancée des maquisards. Ils parviennent néanmoins à se maintenir à environ 200 à 300 mètres de la gare. La nuit promet d’être riche en combats.

Mais le Capitaine Bulle «veut, autant que possible, épargner des morts inutiles dans les rangs des maquisards et dans la population civile. Les allemands sont au bout du rouleau ; s’il parvient à les convaincre, il évitera que le sang ne coule (…) Il fait venir un major allemand, lui remet un message destiné au commandant de la garnison d’Albertville, le conduit à l’entrée de la ville, obtient sa parole d’honneur qu’il reviendra avant 22 heures avec la réponse. A l’heure dite, personne. Le Capitaine Bulle (…) n’admet pas un tel manquement à l’honneur [et] décide d’aller lui-même à la Kommandantur (…) Son sort, bien qu’il se présente en soldat et en parlementaire, est scellé. Le lendemain matin, [il] est exécuté de deux balles dans la tête et dans le coeur, son corps jeté dans un fossé». (cf. notes)

Quand Jean et l’ensemble des maquisards apprennent son exécution, ainsi que celles du sergent-fanion et du caporal-clairon qui l’accompagnaient, ils jurent, dans leur immense chagrin, de les venger et de prendre la ville.

DES VICTOIRES À LA VICTOIRE
La Libération

Le bataillon Bulle attaque une seconde fois Albertville dès le 22 août, le jour de l’anniversaire de Jean. Les combats durent encore pendant deux jours et la ville est totalement libérée le 24. Mais la joie de la libération laisse vite place à la tristesse de trouver la caserne, en flamme, désertée par les allemands. (cf. notes)

Jean et sa compagnie restent quelques jours à Albertville, participent au défilé de la Libération puis parviennent à libérer tous les points stratégiques environnants. La 7e Compagnie se dirige ensuite à vers le village de Bessans (à environ 50 kilomètres) où les allemands menacent de brûler le village car le maire refuse de leur livrer 200 têtes de bétails. Le maquis lance une embuscade entre l’Averole et le Ribon, les deux rivières qui entourent le village, et après un combat lourd de pertes pour les allemands, obtiennent leur reddition. Jean et ses camarades occupent Bessans pendant près d’un mois et mènent une guerre de position contre les troupes ennemies encore stationnées dans la région avant d’être remplacé par un autre bataillon à la fin du mois de septembre. (cf. notes)

La fin de la Guerre

Grâce notamment aux victoires obtenue par le bataillon Bulle, la Savoie est libérée et les supérieurs de Jean, satisfaits de son action, lui propose de s’engager dans l’armée jusqu’au moins la fin de la Guerre. Jean, qui est dans l’armée – régulière ou non – depuis la mobilisation en 1940, fait une nouvelle fois preuve de sa force de caractère et refuse d’officialiser un engagement dont il considère avoir fait la preuve. Conforté dans sa position par le fait qu’il n’est pas le seul à prendre cette décision, il quitte l’armée alors qu’il avait décidé d’y rester jusqu’à la reddition totale des nazis et qu’il venait d’être nommé sergent-chef. (cf. notes)

Jean parvient à rejoindre Ruffey-sur-Seille où il retrouve avec joie ses parents, cachés dans le village depuis 1940, et sa soeur qui avait quitté la ferme Pilotaz après la libération de Gilly. Mais les retrouvailles sont de courte durée puisque le 14 novembre, il reçoit l’ordre de rejoindre la 14e Compagnie régionale de transmission en tant que sergent ; comme si son grade de sergent-chef avait été oublié. Il y occupe dans un premier temps la fonction d’instructeur radio, après un court stage, puis celle d’instructeur de combat au peloton d’élèves-caporaux pour laquelle il semble beaucoup plus compétent. Mais Jean ne se plait pas dans cette compagnie et demande sa mutation au 7e B.C.A. qu’il lui est refusé. Il reste donc au 14e C.R.T. avant d’être ballotté d’une compagnie à l’autre entre le mois avril et l’armistice du 8 mai 1945.

Mais la sa carrière militaire n’est pas pour autant finie pour lui puisque après s’être rebiffé contre décision, il est envoyé en juin avec le 15e Groupe de transmission de Marseille en Algérie. Il y passe six mois avant d’être définitivement démobilisé au mois de décembre 1945.

Après son retour en métropole, Jean reprend une vie normale. Il trouve vite du travail comme comptable puis devient grossiste en tissus. Il reprend aussi des contacts avec ses anciens amis EI ; mouvement auquel il restera attaché toute sa vie, notamment par l’intermédiaire de son épouse, ses enfants et petits-enfants qui prennent sa suite dans le groupe de Mulhouse. Jean est aussi resté fidèle l’armée française avec laquelle il est fier «d’avoir concrétisé son engagement EI en ne laissant pas faire les choses et en entrant en Résistance».(cf. notes)

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