Un mouvement de scouts juifs

Les Éclaireurs israélites de France

La création du mouvement
Les premières années

C’est au cours de l’été 1922, lors de sa visite d’un camp d’Éclaireurs Unionistes, d’obédience protestante (Mouvement créé en 1911), que naît dans l’esprit de Robert GAMZON l’idée de créer un mouvement scout spécifiquement juif. Ce jeune Juif parisien âgé seulement de dix-sept ans forme une première patrouille (cellule de base de l’éducation scoute, elle est composée de six à huit garçons âgés de 11 à 15 ans) dont les débuts officiels ont lieu le 4 février 1923.

Bien qu’étant le petit-fils d’Alfred Lévy ancien grand rabbin de France, Robert Gamzon, totémisé Castor soucieux a de grandes difficultés à faire accepter l’idée de son mouvement par les autorités religieuses et communautaires. En effet «la plupart des rabbins sont peu favorables à ces jeunes juifs en culotte courte et ne voient pas très bien l’utilité d’un mouvement de scout juif». Seul le grand rabbin Liber le soutient d’un premier temps ce qui rend les premières années assez difficiles.

Cette opinion défavorable des rabbins évolue avec le succès grandissant du mouvement comme le prouve cette réflexion d’un rabbin membre du Consistoire de Paris lors d’une réunion avec les dirigeants nationaux EI : « Messieurs, j’ai toujours été contre les Éclaireurs, mais, maintenant que vous avez réussi, vous avez tout mon soutien ! ».

Le premier mouvement de jeunesse juif

L’extension du mouvement est en effet très rapide : dès 1924 une première meute (pour les enfants de huit à onze ans) est créée à Paris, suivie en 1925 d’une deuxième patrouille et en 1926 d’une section d’éclaireuses. A partir de 1927, le mouvement sort du cadre parisien avec la création de groupes notamment à Tunis, Oran, Mulhouse et Strasbourg. En peu de temps, les EI deviennent le mouvement de jeunesse le plus nombreux de la communauté. En 1930, ils comptent déjà 1200 membres pour atteindre 2500 à la veille de la Guerre.

La raison de ce succès réside notamment dans le fait que les EI parviennent à regrouper en leur sein les quatre grands groupes qui composent la communauté juive de France :

- Les israélites français : français de souche ayant pour la plupart fait le choix de l’assimilation, adhéré aux valeurs républicaines et perdu leur culture juive.

- Les Juifs alsaciens-lorrains : proche des précédents, notamment dans leur profond attachement à la France, ils ont conservé une plus grande pratique du judaïsme.

Les Juifs sefardim d’Algérie, du Maroc et de Tunisie qui bien que n’ayant pas le même statut (les juifs d’Algérie sont Français depuis le décret CREMIEUX de 1870), ils sont proches géographiquement et dans leur pratiques religieuses.

- Les Juifs immigrés d’Europe de l’est en raison des persécutions. Ils amènent avec eux une traditions juives très fortes et très particulières mais aussi une idée nouvelle, le sionisme (Mouvement visant à la création d’un État juif en Palestine), qui avait peu touché la communauté juive de France auparavant.

L’accueil de jeunes juifs de ces différents groupes ne peut se faire que dans un mouvement qui parvient à répondre à leurs attentes et aspirations politiques et religieuses qui, comme nous l’avons vu, sont aussi diverses que variées. Les EI répondent sans doute à ces critères grâce à leur particularité : l’engagement scout, juif et français. C’est cette triple appartenance qui fait l’originalité de l’éducation EI et qu’il convient de présenter.

Servir le sionisme et la France

Un mouvement scout

«Être Éclaireur israélite de France signifie que l’on se réfère au scoutisme et à l’éducation scoute telle qu’elle est vécue par les différents mouvements de scoutisme à travers le monde, que l’on se rattache à une certaine identité juive et, également, à une identité nationale française».

L’éducation scoute est sans doute la plus aisée à définir. Selon Denise Gamzon, secrétaire générale du mouvement en 1925, son but est de «développer la personnalité de l’enfant, lui donner à la fois (ce qui est paradoxal) l’esprit d’initiative et celui d’obéissance» (extrait de…) ; mais aussi un sens aigu de la prise de responsabilité mais aussi de la droiture. Chacune de ces valeurs étant inculquées aux jeunes scouts lors des activités mais aussi par l’intermédiaire de la Loi que chaque EI doit s’efforcer de suivre.

Ainsi on peut y lire : que «l’Éclaireur n’a qu’une parole», que «l’Éclaireur sait obéir», et que « l’Éclaireur est propre dans son corps, ses pensées, ses paroles, ses actes» (extrait de…).

Un mouvement juif

Si la définition du scoutisme EI ne pose pas de grands problèmes, l’aspect juif du mouvement est sujet à beaucoup de débats même au sein de l’association. Comme nous l’avons vu précédemment, la plupart des rabbins refuse d’aider le mouvement car il ne le considère pas comme étant assez religieux. Pourtant dès les premières années, les EI affirme leur spécificité et leur caractère juifs :

«Toute morale sans religion paraît vide et dénuée de sens. C’est pourquoi les Éclaireurs, dès l’origine du mouvement, se sont appuyés sur la religion. Il existe en France, en dehors des Éclaireurs de France lesquels, par exception, n’observent aucun culte, les Scouts de France, purement catholiques, et les Unionistes à tendance nettement protestante. Il paraissait absolument anormal que nous seuls – israélites – n’ayons pas de groupement scout». (extrait de…)

Néanmoins jusqu’en 1932, l’attachement du mouvement au judaïsme est plutôt culturel malgré une nette évolution dans un sens plus religieux. Mais il existe un réel manque d’unité sur le plan religieux, par exemple entre les alsaciens assez orthodoxes et les parisiens plutôt libéraux voire laïcs, qui pourrait être préjudiciable pour l’avenir du mouvement. Les chefs EI décident donc l’instauration d’un minimum commun religieux appliqué par tous les jeunes scouts juifs.

Ce minimum commun est défini lors du Conseil National de Moosch (Haut-Rhin) organisé du 30 octobre au 1er novembre 1932 (près de 70 ans plus tard, et malgré quelques modifications, cette définition du «minimum commun EI» est toujours en application.). Le journal des chefs Lumière de novembre-décembre 1932 donne un compte-rendu du vote de cette motion qui marque un tournant de l’histoire du mouvement :

«1) Le Conseil National, considérant l’évolution du mouvement, émet le vu que les EI tendent, désormais, vers une conception du Judaïsme comprenant à la fois l’idéal religieux et l’idéal sioniste.

Le vu a été adopté par : 35 voix Pour, 4 voix Contre et 3 Abstentions.

2) Le Conseil National, tenant compte de l’évolution du mouvement, et dans un but d’unifier ses programmes d’action, émet le voeu :

A. Qu’on n’organise aucune manifestation scoute un jour de Chabbat ou de fête qui soit en contradiction avec les prescriptions de cette fête.

Le voeu a été adopté par : 34 voix Pour, 4 voix Contre et 4 Abstentions.

B. Quun minimum de Cachrout soit pratiqué dans les manifestations scoutes :

  • Viande cachère
  • Différenciation du gras et du maigre.

(…) Par 23 voix contre 16, le texte proposé par Castor est maintenu».

L’adoption de ce minimum commun, s’il définit la pratique générale du judaïsme aux EI, ne clôt pas les débats à ce sujet. Ainsi en 1937, Castor pense «que le temps est venu de proposer un judaïsme plus libéral aux EI». Cette proposition, sans suite, vient en réaction à un courant lancé par Léo COHN visant à «développer aux EI un judaïsme du vécu, fait de chants, de danses, d’histoires et de traditions qui se rattache directement à la joie de vivre du Hassidisme de Pologne. Ce courant dynamique, qui va accélérer l’approfondissement juif des E.I.F., sera d’ailleurs appelé le Léo-Hassidisme».

Mais la pratique religieuse n’est pas le seul point de débat aux EI, en effet l’association est aussi un mouvement français ce qui entraîne un conflit entre l’attachement profond à leur pays des israélites français et l’idéal sioniste des juifs venus d’Europe orientale.

«Être Éclaireur (…) signifiait [aussi] que l’on avait la volonté de faire partie d’une élite au service de son prochain» (extrait de…). C’est pour cette raison que chaque EI doit «Rendre service en toute occasion» ; notamment en effectuant sa B.A. ou sa Mitsvah quotidienne.

Un mouvement français

Comme la définition du judaïsme EI, le rapport à la France est difficile à cerner. En effet est-il possible qu’un EI de Tunis est le même attachement à la France qu’un israélite français, un alsacien ou encore un juif immigré non naturalisé sensible au sionisme ? Ce problème d’identité donne lieu, lui aussi, à de nombreux débats au sein du Comité directeur du mouvement.

En fait, «les EI sont, sans conteste, un mouvement juif français, ne voyant aucune contradiction entre leur double enracinement culturel et national». Etre EI signifie être actif dans la Cité mais aussi ne pas perdre son identité juive : montrer que «les Juifs peuvent être des Français utiles».

Mais le problème de la double appartenance (religieuse et patriotique) n’est pas la seul à être sujette de débats, nombre d’entre eux ont aussi pour thème le sionisme aux EI. Mal accepté dans un premier temps, notamment par Robert Gamzon – israélite français – dont l’opinion  évolue vite, il se développe surtout dans la deuxième moitié des années 1920 avec l’influence grandissante des Chomrim mais aussi d’Edmond Fleg.

Le président du mouvement estime en effet en 1926 que «tous les enfants qui se réclament de la qualité de juif devraient pouvoir être admis dans un mouvement scout israélite, y compris les sionistes» (cf note). Cette idée est suivie en 1928 par l’introduction d’un badge sioniste parmi les brevets susceptibles d’être obtenus par les jeunes éclaireurs. «Le point de vue d’Edmond Fleg, servi par l’enthousiasme sans réserve de Gamzon, triomphe sur toute la ligne et ceci cinq ans seulement après la fondation des EIF».

Les EI ne se bornent pas à des réflexions identitaires, certains décident en effet – contre les consignes d’apolitisme du scoutisme – d’agir contre la montée de l’antisémitisme en Europe en participant aux actions de LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme) d’aide aux réfugiés allemands. Ce début de prise de conscience politique ainsi que la crise de l’été 1938 entraîne Castor à imaginer de manière prémonitoire l’attitude qu’auront les EI, en tant que scout et en tant que juif, pendant l’Occupation, alors que l’idée de la défaite française ne l’effleure même pas :

«Nous servirons la France tous en tant que bons juifs et non en étant des juifs honteux ou qui ignorent le judaïsme (…) Ce sera là une de nos répliques au travail sournois des agents d’HITLER dans notre pays. Devant l’horreur de la situation de tant de juifs dans le monde, nous nous sentons angoissés, mais par un acte de volonté, par une réaction scoute et virile, nous ne nous laisserons pas aller à une tristesse stérile mais, au contraire, nous transformerons en désir d’action, en énergie vibrante, tous nos sentiments et nous travaillerons « de tous notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre pouvoir«  au service de Dieu et de notre idéal».

Les EI : un mouvement clandestin

La réorganisation

Dès la fin de la Drôle de Guerre, le mouvement doit se réorganiser et reprendre ses activités d’éducation pour la jeunesse juive. De nombreux groupes locaux rouvrent leurs portes en Zone Occupée ou se créent en Zone Libre sous l’impulsion des anciens chefs qui s’y sont réfugiés. Rapidement la majorité des groupes EI se concentrent dans le Sud de la France où les Juifs croient être en sécurité. Ce déplacement du centre de gravité du mouvement est renforcé par l’implantation, dans le Sud-Ouest, de maisons d’enfants créées par les EI.

L’évacuation des enfants hors des centres urbains préoccupe déjà le Comité Directeur avant la guerre, c’est la raison pour laquelle Denise Gamzon parvient dès la mobilisation à ouvrir trois maisons à la Ruffie (Lot), à Villefranche-de-Rouergue et à Saint-Affrique (Aveyron). Mais remarquant que les autorités françaises n’aident pas à l’évacuation des enfants juifs étrangers, les EI décident de «réorienter la finalité de l’opération projetée vers un but social, en aidant les récents immigrés qui n’ont ni les moyens, ni la possibilité de faire partir leurs enfants». (cf. notes)

Fin septembre, les trois maisons précédemment citées accueillent déjà 200 jeunes encadrés par des cheftaines EI qui se sont improvisées monitrices, les enfants n’étant pour la plupart pas formés à la vie scoute. D’autres maisons, comme celle de Moissac (Tarn), où s’installe le Secrétariat national du mouvement, ouvrent par la suite.

A partir de novembre, en raison de plusieurs problèmes, seules les maisons de Beaulieu-sur-Dordogne et de Moissac demeurent. Ces maisons sont autant de planques pour les enfants juifs visés par la Loi sur les ressortissants étrangers de race juive promulguée par le gouvernement de Vichy le 4 octobre 1940 puis pour tous les enfants juifs après l’annexion de la Zone Libre par les allemands. Mais au mois d’octobre 1943, la situation devient trop risquée, la sécurité des enfants ne peut plus être totalement assurée et les maisons sont dispersées. De nouvelles caches sont trouvées pour les enfants par les membres de la Sixième, le réseau EI d’aide aux jeunes Juifs.

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