Pluralisme et minhag EI

« [] Nous allons fonder une nouvelle communauté !

leo_cohnNon pas des flemmards qui, sous prétexte de manque de joie du rite, ne font pas de prières du tout, mais des courageux, de quelque position religieuse qu’ils soient, avec ou sans téfillines, qui dorénavant se lèveront une heure plut tôt pour faire une prière joyeuse tous les jours, tous les matins, tous les soirs.

Non pas des fainéants qui, sous prétexte que l’esprit de la loi l’emporte sur la lettre se dispensent de toute discipline rituelle, mais des artistes qui sauront animer le moindre geste religieux d’une âme nouvelle… 

Je demande des gars […] à l’esprit et à l’horizon large, qui veulent étudier sans se noyer dans leurs recherches, des gens justes et méthodiques qui veulent progresser et mesurer le progrès réalisé, qui acceptent du Judaïsme, de l’enseignement de nos Prophètes et de nos Docteurs, des directives pour la vie, des gens pas seulement persuadés que le Judaïsme propose une vie harmonieuse, mais décidés à réaliser cette harmonie de demain. 

Les néo-’hassidim ne seront sévères que pour eux-mêmes et ne s’imposeront pas comme gendarmes du Judaïsme chez les autres [] »

Léo Cohn

 

 

tefilaLe mouvement des EEIF se veut ouvert à tous les jeunes Juifs, quelles que soient leurs options politiques et religieuses. Le Conseil National de 1932 stipule que les EIF sont un : « mouvement à la fois religieux et sioniste », et institue « le respect du Chabbat et des fêtes, de la Cacherout pour pouvoir faire les activités en commun ». Le minimum commun était né pour permettre la cohabitation de toutes les tendances et traditions juives.

Après de multiples évolutions, le minimum commun tel que nous le vivons aujourd’hui est devenu un Minhag EI (coutume qui a force de loi) constitué de l’office du matin, de la récitation aux repas du Motsi (bénédiction sur la pain avant le repas) et du Birkat Hamazone en fin de repas, du respect des lois alimentaires de la Cacherout, du respect du Chabbat, des fêtes et des jeûnes.

Historique

Si la définition du scoutisme EIF ne pose pas de grands problèmes dans les années 1920, l’aspect juif du mouvement est sujet à beaucoup de débats même au sein de l’association. La plupart des rabbins refuse d’aider le mouvement car il ne le considère pas comme étant assez religieux. Pourtant dès les premières années, les EIF affirment leur spécificité et leur caractère juifs :

« [...] Toute morale sans religion paraît vide et dénuée de sens. C’est pourquoi les Éclaireurs, dès l’origine du mouvement, se sont appuyés sur la religion. Il existe en France, en dehors des Éclaireurs de France lesquels, par exception, n’observent aucun culte, les Scouts de France, purement catholiques, et les Unionistes à tendance nettement protestante. Il paraissait absolument anormal que nous seuls – israélites – n’ayons pas de groupement scout […] »

Néanmoins jusqu’en 1932, l’attachement du mouvement au judaïsme est plutôt culturel malgré une nette évolution dans un sens plus religieux. Mais il existe un réel manque d’unité sur le plan des pratiques religieuses, par exemple entre les alsaciens assez orthodoxes et les parisiens plutôt libéraux voire laïcs, qui pourrait être préjudiciable pour l’avenir du mouvement. Les chefs EI décident donc l’instauration d’un minimum commun de pratiques juives qui sera respecté par tous les jeunes scouts juifs.

Ce minimum commun est défini lors du Conseil National de Moosch (Haut-Rhin) organisé du 30 octobre au 1er novembre 1932 (75 ans plus tard, à part quelques adaptations, cette définition du « minimum commun EI » est toujours d’actualité).

Le journal des chefs Lumière de novembre-décembre 1932 donne un compte-rendu du vote de cette motion qui marque un tournant de l’histoire du mouvement :

« 1) Le Conseil national, considérant l’évolution du mouvement, émet le voeu que les EI tendent, désormais, vers une conception du judaïsme comprenant à la fois l’idéal religieux et l’idéal sioniste.

Le voeu a été adopté par : 35 voix Pour, 4 voix Contre et 3 Abstentions.

2) Le Conseil national, tenant compte de l’évolution du mouvement, et dans un but d’unifier ses programmes d’action, émet le voeu :

A. Qu’on n’organise aucune manifestation scoute un jour de Chabbat ou de fête qui soit en contradiction avec les prescriptions de cette fête.

Le voeu a été adopté par : 34 voix Pour, 4 voix Contre et 4 Abstentions.

B. Qu’un minimum de Cacherout soit pratiqué dans les manifestations scoutes :
- Viande cachère
- Différenciation du gras et du maigre (…)

Par 23 voix contre 16, le texte proposé par Castor [Robert Gamzon, fondateur des EIF] est maintenu.»

Pour comprendre la nécessité d’un tel système, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Dans sa biographie de Robert Gamzon, Isaac Pougatch montre à quel point la diversité des membres du mouvement était grande. Il dit ainsi :

« [...] Bien vite il y eut amalgame d’éléments qui jusqu’alors ne se rencontraient jamais. Venant d’horizons différents, ils étaient coulés ici dans le même moule, s’enrichissaient mutuellement , créant peu à peu un type nouveau de juif français où les jeunes d’origine alsacienne, russe, polonaise, roumaine, hongroise, salonicienne et nord-africaine, parlaient une langue commune, forgeant lentement, à toute la communauté, un visage nouveau [...]

A l’origine, le minimum commun fut donc un moyen de permettre à tous ces jeunes de sensibilités juives différentes de camper ensemble. Sans un minimum commun de pratiques juives, les EI de Strasbourg ou de Nice (très pratiquants) n’auraient jamais pu camper avec des parisiens (beaucoup moins pratiquants ). Le minimum commun était avant tout un moyen de vivre ensemble. Un moyen et non une fin.»

Le minimum commun EEIF aujourd’hui

L’actualité et la permanence du « minimum commun EI » ont été réaffirmés par une motion du Conseil national de 1994, qui a précisé le contenu de notre minimum commun de pratiques juives, à savoir :

  • le respect de la cacherout
  • l’office du matin
  • le Chabbat et les fêtes
  • les Berakhot avant de manger et le Birkat Hamazone après le repas

Pourquoi un minimum commun de pratiques juives aujourd’hui ? Dans une communauté profondément divisée, le minimum commun montre plus que jamais sa pertinence et son utilité pour faire vivre dans le cadre des EEIF l’unité et la diversité du Peuple juif.

Le minimum commun : un moyen de vivre ensemble Et il ne s’agit pas seulement de cohabitation entre personnes de niveaux de pratiques différents. Plus concrètement, le minimum commun permet un respect mutuel, d’apprendre à vivre en communauté, comme une communauté.

Un petit exemple : On ne fait pas Motsi avant le repas juste parce que c’est écrit dans la Halakha. Motsi permet également de permettre à tout le monde de manger en même temps. Sur un camp, s’il n’y avait pas un temps de prière avant le repas, les premiers arrivés seraient les premiers servis, et les derniers arrivés…

Le minimum commun : un minimum tout court Le minimum commun est avant tout un minimum tout court, une des façons pédagogiques d’aborder l’unité fondamentale du judaïsme et des Dix Paroles (Assérèt haDibrote). C’est la base de la pratique juive et il est de notre devoir de chef scout de transmettre cette richesse à nos jeunes.

A nous, à vous de vous former en conséquence, quelque soit votre choix d’adulte en ce qui concerne la pratique juive. C’est l’engagement des chefs EEIF à transmettre la Loi de notre mouvement.

Le judaïsme aux EI n’est pas le minimum commun. Celui-ci est le moyen de transmettre à nos jeunes une vision d’un judaïsme pluraliste, le rappel des valeurs fondamentales de la Révélation sinaïtique, un état d’esprit fait de curiosité pour l’étude juive, une découverte, explication et mise en pratique des mitsvot et des fêtes ; pour résumer, ne pas se contenter d’un rituel d’adultes qui ne répond pas aux légitimes questionnements des jeunes.

Tout l’esprit du minimum commun est donc de tirer bénéfice de cette pluralité ainsi que l’expliquait déjà Marguerite Klein, femme de Samy Klein en 1961 :

« Tout d’abord il faudrait préciser ce que nous entendons par ce terme souvent employé mais aussi souvent dénaturé. Il ne s’agit ni d’un but ni d’un idéal proposés au mouvement mais uniquement de l’expression toute matérielle d’un mode de vie commun qui nous permettra à tous de nous sentir à notre aise les uns les autres.

Celui qui est peu pratiquant doit faire des efforts et celui qui est très pratiquant, sans pour cela diminuer ses exigences, doit pouvoir tolérer, à côté de lui quelqu’un de moins stricte observance. Ce que l’on a essayé, c’est de trouver les bases d’une vie commune pour tous ceux qui, venus d’horizons divers, sont liés par le désir de vivre pleinement et en tant que juif leur vie scoute.»

 

 

Quelques précisions et exemples pratiques

Dogme : croyance, opinion ou principe donnés comme intangibles et imposés comme vérité indiscutable.

Lors d’un Conseil national, une ancienne présidente du mouvement avait affirmé que les EI étaient de plus en plus cachers, et de moins en moins juifs !

Cela signifiait que le minimum commun était devenu une fin en soi qu’on applique mécaniquement, sans réfléchir et sans rien expliquer. Cet état d’esprit se ressent sur de nombreux camps et dans de nombreux groupes locaux, où l’on croit qu’il suffit de faire l’office du matin pour que le minimum commun soit réalisé.

Le minimum commun est un moyen de transmettre des connaissances mais également les valeurs du judaïsme. La pratique est un moyen d’initier les jeunes à une histoire, une culture, un état d’esprit qui est celui que le peuple juif est parvenu à perpétuer depuis la nuit des temps.

 

 

À propos de la Cacherout
Pour la Cacherout, nous achetons uniquement les produits certifiés par le tribunal rabbinique – Beth Din – du Consistoire de Paris. Pourquoi ?

Tout le monde râle parce qu’il n’est plus possible de trouver une boîte de thon cacher, ou parce qu’un petit dèj ’ sans Nutella n’est pas un véritable petit dèj’ ! Certains proposent de se fier à la composition indiquée sur les produits en toutes petites lettres.

Le problème est que les fabricants ne sont pas obligés d’indiquer dans la liste d’ingrédients composant un produit ceux qui représentent moins de 2% de sa composition totale.

De plus, la fabrication d’un produit sans inspection régulière d’un surveillant (Chomer) du Consistoire ne peut être certifié cacher au niveau des ustensiles utilisés et de la façon dont il est préparé et fabriqué. C’est pourquoi certains produits que nous trouvons par ailleurs sans indication de Cacherout font l’objet d’une fabrication « spécial cacher » sous le contrôle du Consistoire (avec étiquette informative).

Quand on campe en Europe dans des endroits éloignés de communautés juives, on peut se référer à la liste des produits casher du Rav Wolff établie à la demande du centre national des EEIF.

 

 

À propos du Birkat Hamazone
Savez-vous que c’est la seule prière 
instituée dans la Tora (Min haTora) ?

Avant l’entrée sur la terre d’Israël, Moïse dit au peuple d’Israël : « Lorsque tu auras mangé et seras satisfait, tu prieras Hachem ton Dieu pour la bonne terre qu’Il t’a donnée.»  (Deutéronome 8,10)

Le BIRKAT HAMAZONE bénédiction de la nourriture  est la prière après un repas où on a mangé du pain (levé ou non levé) fait avec une des cinq céréales de la terre d’Israël (blé, orge, seigle, avoine et épeautre : « L’Eternel te conduit dans un pays d’abondance … un pays qui produit le blé et l’orge, le raisin, la figue et la grenade, l’olive huileuse et le miel …  »  (Dévarim 8,8)

En maîtrise, il serait bon d’étudier l’importance de cette prière et sa dimension collective avec le zimoun (Talmud, traité Berakhot).


À propos de l’office du matin
Tenons un propos un peu provocateur : si les offices avaient été aussi ch… tout au long de ces 3 000 dernières années que sur bien des camps, leur tradition n’aurait jamais été perpétuée au cours de ces différents siècles !

Si un bât ou un éclai sort de l’office en disant : « plus jamais ça ! », c’est que le projet éducatif des EI est passé à la trappe : un office EI n’est pas la reproduction de l’office de votre synagogue, de votre école juive ou de votre office personnel !

L’office EI est avant tout un outil pédagogique (et oui !) pour faire découvrir les richesses de la Téfila, la prière juive à vos bâtisseurs, éclaireuses et éclaireurs.

Rendre la pratique juive attractive, c’est lui redonner tout son sens, c’est expliquer chaque jour un peu plus à fond ce qu’on fait et pourquoi on le fait.

Cela suppose donc d’aborder les choses progressivement : cela ne sert à rien de faire l’office en entier avec des débutants. Si à la fin du camp, ils connaissent tout ou partie du Chéma et du Chmoné Essré (les 18 bénédictions de la Amida), ce sera une étape importante de franchie dans la découverte des richesses de la Téfila.

La mise en pratique du minimum commun nous fait faire un office par jour. Par conséquent, ce n’est pas parce qu’on s’est levé le samedi matin ou le jour du jeûne à 14 h 00 (soit trop tard pour faire l’office du matin) qu’il est interdit de se rattraper avec Min’ha ou Arvit (offices de l’après-midi et du soir).

 

 

À propos du Chabbat
Imaginons un camp regroupant des groupes locaux dont la réputation est de ne pas être particulièrement pratiquants (je ne citerai pas de noms…). Ils vont accueillir Chabbat comme tous les groupes EI, car cela fait partie du projet éducatif des EEIF : faire découvrir la richesse des traditions et pratiques juives à nos jeunes.

Cette liste est-elle limitative ? Non ! Elle constitue un minimum. Imaginons par exemple qu’un Groupe Local fasse un camp d’hiver dans une maison où il y a un Sefer Tora. Peut-on lire la Paracha de la semaine à Chabbat car le minimum commun n’en parle pas ?

- NON, si c’est pour lire à toute vitesse 200 versets sans expliquer de quoi l’on parle et qu’on oblige des bâtisseurs, éclaireuses et éclaireurs à se taire pour ne pas déranger les trois personnes qui y comprennent quelque chose…

- OUI, si l’on explique ce qu’est une Paracha, de quoi parle celle de la semaine et qu’on adapte la taille du passage (lu, traduit et expliqué) au public qu’on a en face de soi. Et si vous préparez cette lecture avec vos éclaireuses et éclaireurs, c’est encore mieux !


 
À propos des fêtes
Faire une PJ (page juive) à chaque acti de façon interactive, sous forme de pièce de théâtre. Suivre pour ces PJ le calendrier des fêtes juives.

Il faut montrer aux jeunes ce qu’il y a de positif dans la fête. Si à Pourim, on passe une heure à écouter réciter la Méguila d’Esther mais que personne n’est déguisé et que ça ne se finit pas par une grande fête et des jeux, la Halakha aura été respectée (et encore…), mais c’est zéro pointé d’un point de vue pédagogique quant à la transmission du sens de cette fête…

Vous n’aviez pas prévu qu’une fête juive tombait un dimanche quand vous avez préparé votre thème de trimestre ? Plutôt que de ne pas en parler du tout, profitez du repas ou du goûter pour faire une petite PJ, ou bien finissez l’acti plus tôt pour consacrer un peu de temps à la fête en organisant un goûter de fruits pour Tou Bichevat , un allumage de bougies pour ‘Hanouka, ou pour participer à ce qui est organisé par la communauté qui vous héberge.

etc, etc...

 
Conclusions

Il est essentiel dans notre démarche de chef scout de revenir aux sources du minimum commun, et de bien comprendre l’état d’esprit dans lequel il est né. Marguerite Klein le rappellait dans la suite de son explication :

« Le minimum commun […] constitue ce qu’on peut appeler un test de tolérance. En effet, il demande au pratiquant d’admettre auprès de lui quelqu’un qui l’est moins et la réciprocité est aussi vraie.

Ceci n’est-il pas au plan israélite ce que la fraternité est sur le plan scout ? Il faut aux Juifs autant de tolérance pour s’accepter les uns les autres qu’aux non-Juifs pour vivre côte à côte sans distinction de race ou de religion.»

 

 

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