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La Téfila

(Supplément à l’EIF – Gilbert Dahan -1984)

Question de méthode

jd93a1. Toute explication d’un terme ou d’une idée concernant une pratique, particulière à une civilisation donnée, se heurte à un certain nombre de difficultés, dues à ce que ce terme ou cette idée possèdent une détermination, un «poids», que nulle «traduction» ne parvient à rendre.

Nous voulons expliquer la Téfila, la prière juive ; pour ce faire, nous allons utiliser un langage occidental, nous allons mettre en marche notre réflexion elle aussi conditionnée par le milieu occidental dans lequel nous nous sommes formés. Pour la Téfila, la difficulté se trouve accrue du fait qu’il s’agit d’une pratique appartenant au domaine de la «religion».

Voulant en cerner la signification véritable, déterminée par un contexte juif, nous risquons d ‘ y mettre les connotations que possède son équivalent le plus immédiat, dans la langue que nous utilisons qui, lui, possède des connotations étrangères à ce contexte juif.

Aussi notre premier essai d’explication comportera-t-il, explicitement ou non, une part «négative» : il s’agira, en quelque sorte, d’expulser de la notion de Téfila, le poids, la détermination, que le concept de «prière» possède, pour redonner, dans un deuxième temps, à cette Téfila ou à la «prière» (vidée alors de sa substance chrétienne) un contenu qui alors sera juif.

2. Une autre difficulté, dont on se rend hélas moins compte, est encore d’ordre linguistique : les mots ont une histoire, et les langues ont une histoire. Apprenons à utiliser les modes d’expression propres à notre époque : ne parlons plus de la prière comme le faisaient les gens du 19e siècle.

La sphère de la vie religieuse possède suffisamment de particularités pour qu’il ne soit pas utile de la particulariser encore en la décrivant au moyen d’un langage devenu désuet, inadéquat et rebutant.

Ayons l’honnêteté de reconnaître qu’une phrase telle que :
«La foi trouve son expression la plus fidèle dans la pratique de la prière, car celui-ci seul adresse des requêtes à Dieu qui croit en lui et en sa volonté de secourir les créatures» a bien des chances aujourd’hui de n’être qu’un tissu de sons, vidés de toute signification.

Toujours dans cet ordre d’idées, et a propos encore de l’évolution des moyens d’expression, sachons reconnaître le système propre à chaque époque. Ne lisons pas un texte biblique comme une page de Maïmonide, ni un texte de Halévy comme une oeuvre de Buber, ni un texte de Buber comme un texte de Camus, et moins encore un texte de Camus comme les textes non notés de nos conversations quotidiennes.

Sans cela, nous risquons de faire de grossiers contresens, et de ne rien comprendre à rien. Pour notre propos, retenons peut-être simplement que pour ce qui est de la pensée juive, nous devrons distinguer en gros entre les moyens d’expressions suivants :

- dans la Bible, expression mythique (pas d’expression abstraite comme dans le langage d’aujourd’hui : les concepts sont véhiculés par des récits)

- dans les textes d’époque talmudique, expression mythique, qui se double d’un «formalisme» (les concepts sont exprimés encore par des mythes mais plus que le contenu, c’est la forme qui est révélatrice).

- dans les textes médiévaux, il y a toute une série de moyens d ‘expression. A l’expression mythique et «formaliste» s’ajoute une expression abstraite, issue (directement ou non) de la pensée hellénique.

Tout ceci ne nous éloigne pas de notre propos immédiat. D’une part, nous allons être amenés à lire des textes utilisant ces moyens d’expression (les textes de la Téfila). Et d’autre part, nous allons devoir parler de la Téfila : faisons-le donc en éliminant les archaïsmes que consacre trop souvent la langue religieuse, alors qu’ils n’ont plus beaucoup de sens pour l’auditeur moyen.

3. Pour parler de la Téfila, n’utilisons donc pas de termes vides de sens, ne faisons pas non plus appel à des idées qui dans notre perception du monde n’ont aucune consistance, aucune réalité. Utilisons notre langage, à condition qu’il soit authentiquement signifiant.

Utilisons les seules idées que notre expérience ou notre réflexion nous auront permis d’incorporer réellement. Ainsi la première description que nous donnerons de la Téfila sera-t-elle toute « extérieure » : nous essaierons de cerner progressivement ce qu’elle est, et de dégager les implications les plus importantes.

 

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