L’appel d’Israël

Robert Gamzon était bien trop engagé pour ne pas être tenté par la grande aventure humaine qui se déroulait, une fois de plus, en pays biblique. Bien sûr, comme tout le monde, il savait tout sur ce pays avant d’en avoir foulé le sol.

Depuis longtemps, il était acquis au travail gigantesque qui s’y faisait et avait aiguillé son mouvement dans le sens d’un soutien permanent aux fonds d’aide à Israël.

Cependant, lorsqu’il fit lui-même le voyage de Jérusalem, ce fut tout autre chose. A son tour, il renouvela l’expérience de ce modeste militant sioniste qui, après avoir collecté pour la Palestine pendant vingt ans, s’était décidé à y aller faire un tour.

Quand il revint, ses proches lui demandèrent ce qu’il avait vu en Terre Sainte. Et le vieux militant de répondre :

- « C’est bien simple, tous les bobards que je vous raconte sur le Pays depuis vingt ans, eh bien… c’est vrai ! »

Au premier abord, cela semble pure folie que d’acquérir à prix d’or des montagnes pierreuses ou des marécages, puis de se mettre à dépierrer les uns ; souvent avec les mains nues ; à assécher les autres en y employant tout un peuple de pionniers.

Mais trouver quelque temps après, à cette même place, des vergers, des villes et des villages, des jardins anglais, des maisons de culture, des nurseries-modèle ; tout cela édifié pour ainsi dire sous nos yeux ; quel enchantement ! Le voilà, le travail de défricheur, tant vanté, tant prêché aux scouts juifs de France. Et cela à l’échelle nationale !

Déjà, pendant la guerre, en zone libre, nos Eclaireurs s’y étaient attelés sérieusement, gravement. Ici, ce travail est permanent : bâtir est le pain quotidien, la guerre y est installée à demeure, la résistance est une question de vie ou de mort. L’action préconisée par les E.I.F. y est centuplée. Il y a de la place et de l’occupation pour tous les mouvements scouts de la terre.

En tant que technicien expérimenté, Gamzon découvrait un champ d’action incomparable pour maintes réalisations, adaptations, innovations. Tout est à faire dans ce pays vieux-neuf, tout est disponible pour les entreprises les plus hardies dans tous les domaines. Défricher, ce mot magique en vogue au lendemain de la débâcle de Juin 1940, s’applique, en Israël, on ne peut mieux et pas seulement à un menu bout de terrain.

C’est tout un pays qui est à ressusciter, pour soi-même, pour les siens, et aussi pour tous les autres qui attendent dans diverses contrées inhospitalières, pour les populations juives de l’Afrique du Nord dont la situation périclite dangereusement. C’est un sauvetage, une rénovation physique, morale, nationale qu’il faut leur préparer. Est-il besogne plus exaltante ?

Et puis, comment résister à l’appel venant du fond des âges, formel, lancinant, qui vous cloue à ce pays qu’on n’a jamais vu et où l’on se sent chez soi dès la descente d’avion !

Cette terre brûlante, ce ciel criblé d’étoiles énormes, vous ensorcellent. Un sentiment profondément enfoui en vous, se réveille, fait surface, submerge tout. Gamzon se sent prêt à tout quitter pour venir vivre là, y travailler, y combattre, s’il le faut.

« Tu aimes les difficultés ? se raisonne-t-il. En veux-tu, en voilà ! Ici, il n’y a que ça. Et du danger par-dessus le marché. Du danger de tous côtés. Aujourd’hui comme au temps de Néhémie, on y travaille en tenant l’outil d’une main et l’arme de l’autre. Après tout, le scoutisme, la résistance même, n’auront-ils pas été la préparation rêvée pour la grande oeuvre de reconstruction, de régénération entreprise au pays d’Israël ?

Tout ce qui reste de notre travail en France ne le retrouve-t-on pas ici ? Le Kibboutz français Nevé-Ilan n’est-il pas une suite directe de Lautrec ? Et Ein Hanatziv ne prolonge-t-il pas Talluyers ? Ici, au moins, on construit pour durer ; on a enfin le sentiment que c’est définitif. Voilà près de deux millénaires que nous sommes frustrés de ce sentiment-là !

Quelle joie de voir les « Kibboutzniks » d’Israël travailler et lutter aussi simplement que les paysans de France ! Et cela en dépit des ombres qui veulent assombrir l’horizon ».

Gamzon ne s’en tient pas au choc émotionnel après quoi nous reprenons, presque tous, le chemin de la « Gola » (Diaspora). Non, lui ne l’entend pas ainsi. Il sent la nécessité de se joindre à l’effort d’Israël et se souvient de la devise qui a cours à l’école Gilbert Bloch, d’Orsay : « Chaque Juif doit y apprendre qu’il ne peut pas vivre sans judaïsme, mais aussi que le judaïsme ne peut pas vivre sans lui ».

Or, l’Etat d’Israël vient de naître. La face du monde juif s’en trouve changée. Et Castor pourrait vivre en dehors de ce prodigieux mouvement? Ce n’est pas possible !

Mais il y a Orsay ! Gamzon y a mis tant d’efforts, tant d’espoir ! Il y a créé un style de vie original et d’un niveau spirituel et humain très élevé, grâce à sa remarquable faculté de synthèse. Sa grande joie n’est-elle pas de se pencher sur l’âme des jeunes, de recevoir leurs confidences, de les aider à se réaliser ? Et quelle satisfaction pour un éducateur, pour un chef que de « faire école » ! Castor semble être comblé.

Eh bien non. Il lorgne maintenant d’un autre côté. Comment se réinstaller à Orsay dans son relatif confort, alors que brusquement retentit dans le monde l’appel d’Israël ? Alors qu’Israël se présente, en toute logique, comme l’aboutissement, la synthèse ultime de toute son activité, de sa vie ?

Se trouvant, une fois de plus, à un tournant dramatique, Gamzon est guidé par trois considérations majeures :

  • L’immigration en Israël, en provenance d’Afrique du Nord qui commence et qui a besoin de recevoir une aide éclairée et fraternelle.
  • L’apport de la culture française ; le sens de l’analyse et de la synthèse qu’il admire tant chez les Français et qui ferait merveille en Israël.
  • L’aspect militaire : demeurer hors du pays, menacé de toutes parts, constituait à ses yeux une lâcheté.

Et Castor prend sa décision : il ira s’établir en Israël. Rentré en France, il prépare son « Alyah » (sa montée au pays biblique). Or, ce candidat « Oleh » (Immigrant) avait son idée. Il aurait pu émigrer seul, évidemment, mais ce qu’il a toujours souhaité, c’était une Alyah collective, une Alyah E.I.F. avec ce que cela comporte d’amalgame franco-israélien. Le moment lui semblait venu de réaliser ce vieux rêve.

Cependant, à Orsay, il trouva un climat peu favorable à une telle réalisation. « A l’école tout marche très bien, confiait-il à des amis, je suis ravi du travail qui s’y fait sur les divers plans. Il n’y a que le sionisme qui n’y trouve pas sa place. Je constate avec chagrin le manque d’élan pour Israël »…

Castor n’était pas homme à renoncer, même ; j’allais dire : surtout ; si tout semblait se liguer contre lui. Il parla de son projet à la ronde. En vérité, il n’eut pas à parler longtemps. Son enthousiasme, sa conviction et par-dessus tout son propre élan qui consistait non pas à dire : « faites ! » mais : « faisons ! » produisirent leur effet habituel.

Bientôt une cinquantaine d’adhérents, parmi lesquels il eut la joie de compter huit élèves de l’Ecole d’Orsay, se déclarèrent prêts à le suivre. Dès lors, cela ne traîna pas.

Comme trente ans auparavant, Joseph Trumpeldor, le héros de la guerre russo-japonaise, quittait la Russie pour la Terre Promise, emmenant avec lui une quarantaine de pionniers ; tous et toutes épris de lui, ainsi Robert Gamzon monta en Israël, accompagné d’environ le même nombre de jeunes des deux sexes, fervents, eux aussi, et amoureux de leur chef, transportés à l’idée de réaliser dans le Pays le rêve de Castor : créer un Kibboutz E.I.F.

Ce groupe devait aider surtout à l’intégration des masses venant de l’Afrique du Nord. Selon la tradition déjà établie, il se constitua en « garhine » (noyau), prit le nom de « Léo Cohn » et se joignit au Kibboutz religieux de Sdé-Eliahou, dans la vallée de Beth-Chean.

Castor rentre alors dans le rang. C’est pour lui une vie entièrement nouvelle : de directeur d’école, de leader presque tout puissant du mouvement qu’il avait fondé, il devient « Haver » (membre), même pas : seulement candidat dans un kibboutz ; à l’intérieur du garhine il est l’égal de ses camarades.

Tout en demeurant l’âme de son groupe, il s’astreint aux besognes quotidiennes les plus élémentaires. A 44 ans, il se fait simple électricien participant à l’installation du réseau intérieur de Sdé-Eliahou.

Affublé d’un pantalon rapiécé et d’une chemise de travail, transportant son échelle, alors qu’il n’était pas tout à fait remis de son terrible accident dans la Montagne Noire, Castor passe parfois des journées en plein soleil à monter des lignes, à poser des câbles entre les poteaux.

Un jeune scout ayant travaillé à l’époque avec le chef, écrit ceci : « Je n’ai peut-être pas appris le métier d’électricien, mais j’ai appris bien plus : la simplicité, la modestie, l’intégrité alliées à une énergie et à un dynamisme à toute épreuve. Jamais je n’oublierai ces quelques mois. »

Les conditions dans lesquelles Castor vit et travaille sont les plus mauvaises possibles. La région où il s’est installé est connue pour son climat très dur. Il doit faire face à des nécessités toutes nouvelles pour lui. De plus, le sort semble s’acharner sur le groupe. Un de ses garçons meurt d’une tumeur au cerveau. Un autre est écrasé par un tracteur à chenilles et tué sur le coup…

Après plus d’un an passé à Sdé-Eliahou, Castor et ses jeunes s’en vont à Nir Etsion pour fusionner avec le groupe déjà en place. Ce groupe, composé d’anciens déportés et des rescapés du kibboutz Kfar Etsion, détruit par les armées arabes, est en pleine crise. Il cherche son fondement et sa forme, hésite entre le kibboutz et le « Mochav » (travail individuel avec un certain nombre d’heures données à la collectivité).

Castor, lui, s’en tient fermement au principe de la communauté totale. Dans son groupe même, les avis s’opposent non moins fermement : les uns optent pour le Kibboutz, les autres pour le « Méchek Chitoufi » (terre et travail en commun, mais chaque famille aura sa maison, sa cuisine particulière). Finalement la collectivité se scinde et une partie retourne à Sdé-Eliahou.

Castor est ulcéré par cette séparation. Il décide, la mort dans l’âme, de quitter le groupe initial et de tenter sa chance en ville…

Est-ce la fin d’une carrière hors série ?

Pas le moins du monde. C’est un recommencement, un nouvel épanouissement …

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