Jean-Paul Bader,
du maquis à l’aumônerie
UNE JEUNESSE A STRASBOURG
UNE SCOLARITÉ ENTRE LAICISME ET RELIGION
C’est en 1923, comme le mouvement EI, que Jean-Paul naît un 19 mai dans la capitale alsacienne. Il est issu d’une famille modeste, mais à l’abri du besoin. Ses parents sont commerçants spécialisés dans la mercerie et la bonneterie.
Jean-Paul est inscrit à l’Ecole Publique, il suit des cours au lycée Kléber de Strasbourg à partir des classes élémentaires. Il reste dans cet établissement jusqu’à la 3e. Après cette classe, il quitte sa ville pour se rendre à Paris. Élevé dans une famille pratiquante, il est lui-même croyant et très intéressé par la religion juive.
C’est donc notamment pour approfondir ses connaissances religieuses qu’il s’inscrit à l’école Maïmonide à la rentrée 1938. Durant un an et demi, il y fait une bonne scolarité. Il confirme aussi sa volonté d’étudier toujours plus les subtilités du judaïsme et de participer à la vie de la communauté juive, tout comme il l’a toujours fait à Strasbourg.
UN ENGAGEMENT DÉJÀ IMPORTANT AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ JUIVE
De parents pratiquants, Jean-Paul fréquente naturellement très tôt et assidûment la synagogue et la Talmud Torah. C’est le rabbin de Bischeim qui est responsable de l’enseignement religieux des jeunes Juifs de la capitale alsacienne. C’est lui qui donne les cours d’hébreu à Jean-Paul en vue de sa Bar Mitsvah. Un lien fort naît entre l’élève et son maître, le rabbin Abraham Deutsch. (cf. notes)
Jean-Paul qui ressent le besoin de donner de son temps à la communauté juive de Strasbourg devient petit à petit un des cadres de la jeunesse juive non EI de Strasbourg regroupée autour du rabbin. Conjointement il s’occupe de l’office des jeunes, dirigé par Léo Cohn. Il en est l’un des officiant. Mais aucune activité n’est organisée avec la troupe EI locale. Il connaît en fait assez peu le mouvement et ses membres.
Ses occupations communautaires sont présentes même lors des visites qu’il fait à sa famille durant les vacances. C’est d’ailleurs à la fin de celles de 1939 que les événements prennent momentanément le pas sur sa volonté d’étudier et d’animer vie de la jeunesse.
ENTRE ÉTUDE ET RÉSISTANCE
DE PÉRIGUEUX A LIMOGES : LA VIE AU GRAND JOUR
Les EI
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, la ville de Strasbourg est évacué dès les premiers jours du conflit en septembre 1939. C’est ainsi que la famille Bader prend le chemin de l’exode en compagnie de nombreux autres strasbourgeois. N’ayant pas de voiture, Jean-Paul et sa famille sont obligés de suivre l’évacuation générale de la capitale alsacienne vers la Dordogne. Leur manque de moyen financier les oblige à s’installer dans un petit meublé très quelconque de PERIGUEUX. (cf. notes)
De nombreux juifs alsaciens y trouvent aussi refuge et très vite Liliane Marx - la responsable du groupe EI de Périgueux – prend contact avec Jean-Paul. Son rôle de cadre de la jeunesse juive strasbourgeoise en fait une recrue intéressante en vue de la création d’une troupe d’éclaireurs juifs à Périguex. Dans un premier temps, elle lui demande de l’aider dans l’accueil des nouveaux réfugiés. Pendant qu’ils attendent les trains, elle lui explique ce que sont les EI, leurs valeurs et leur mode de vie.
C’est ainsi qu’en septembre 1940, Jean-Paul devient chef EI. Il a notamment pour mission de créer et d’encadrer la nouvelle troupe. Les jeunes évacués peuvent donc retrouver les activités qu’ils pratiquaient avant le début de la guerre, ainsi qu’une ambiance juive en pleine période de tourmente pour leurs coreligionnaires de la Zone Occupée.
Pour l’aider dans sa tâche, Jean-Paul « reçoit les visites régulières de Cigogne et de P.T.T. (surnom d’André CAHEN). Généralement ceux-ci laissent au passage des papiers ronéotypés qui servent de plan pour les activités (jeux, noeuds, judaïsme, etc), et communiquent les dernières nouvelles et directives ». (cf. notes)
Il participe aussi à des camps de formation pour les nouveaux cadres. Ainsi près de Moissac est organisé le camp de MONTSERVAL VII. Bien que n’ayant plus lieu, comme avant la guerre, dans la ville de Chapelle-en-Serval (Oise), les chefs EI ont décidé de garder le nom en souvenir de cette époque. Durant ce camp, Jean-Paul développe ses connaissances en matière de scoutisme (vie en patrouille, constructions), pédagogie, psychologie mais aussi de judaïsme et notamment d’histoire juive.
Jean-Paul investit beaucoup de son temps libre dans le mouvement EI et prend dès l’année 1941 la direction du groupe de Périgueux en remplacement de Liliane Marx, partie au chantier rural de Lautrec. Mais Jean-Paul n’a rien perdu de sa volonté d’étudier toujours plus la Torah et les autres livres du judaïsme. Sa soif de connaissance est épanchée au Petit Séminaire israélite de Limoges, créé par le rabbin Deutsch, où il passe toute les journées non occupées par les activités EI.
Le Petit Séminaire israélite de Limoges
« À Limoges, le rabbin Abraham Deutsch regroupe presque immédiatement après l’évacuation de Strasbourg, ses élèves prêts à faire des études religieuses approfondies. Le Petit Séminaire israélite de Limoges (P.S.I.L.) voit le jour. Dans l’esprit du rabbin Deutsch, cette institution formera les chefs des communautés que nécessite la nouvelle situation ». (cf. notes) Comme nous l’avons vu plus haut, Jean-Paul connaît déjà le rabbin Deutsch depuis longtemps et rejoint donc avec beaucoup de joie son ancien maître dans sa «mini-yechiva» à la fin de l’année 1941. (cf. notes) Les cours ont lieu dans un premier temps dans des salles louées par le P.S.I.L. puis, faute de moyens, dans les bureaux du rabbin. Jean-Paul et d’autres élèves – dont notamment Théo Dreyfuss, Max Warschavski et Lucien Lazare - étudient ainsi la Guemara et la Michna. Mais les cours dispensés par le P.S.I.L. ne sont pas uniquement religieux. C’est dans ce cadre que Jean-Paul obtient la seconde partie de son Baccalauréat après avoir obtenu la première à Périgueux.
Pendant ce temps la situation en France évolue vite et de plus en plus de juifs doivent se cacher pour éviter les rafles, surtout avec l’invasion de la Zone Libre par les allemands le 11 novembre 1942. Les EI commencent donc à développer un réseau d’entre-aide dans lequel Jean-Paul entre progressivement.
VERS LA CLANDESTINITÉ
Les premières actions
A Périgueux, Jean-Paul se contente d’organiser des activités scoutes. C’est en fait à Limoges où se trouve une antenne de l’O.S.E. qu’il est contacté par des membres régionaux de la Sixième. Ils lui demandent d’organiser une fausse colonie afin d’emmener un groupe d’enfants de Limoges à Lyon. Arrivé dans la capitale des Gaules, il confie les enfants à d’autres assistantes sociales qui sont chargées de faire passer les enfants en Suisse. Il effectue cette mission en binôme, comme cela se faisait le plus souvent, avec Marinette Kaufman. Les dirigeants de la Sixième considèrent qu’un animateur et une animatrice passent plus inaperçus quand ils s’occupent d’enfants des deux sexes.
Jean-Paul fait équipe avec Marinette lors de la plupart des missions qui lui sont confiées par des membres de la Sixième ou de l’O.S.E. qu’il ne rencontre presque jamais. (cf. notes) Mais le convoyage d’enfants vers Lyon ne constitue rapidement plus son seul domaine d’action. La situation des Juifs s’aggravent un peu plus chaque jour. Ils sont obligés de se cacher et ont besoin pour circuler et se nourrir de fausses cartes d’identité et de tickets d’alimentation. Jean-Paul reçoit donc l’ordre d’en fabriquer ou de trouver un moyen de les échanger.
Jean-Paul s’investit beaucoup dans ses actions de résistant sans se poser de questions. Il obéit aux ordres de ses chefs scouts sans se soucier, ou peut-être même sans se rendre vraiment compte, du danger qu’il court.
Un danger croissant
Malgré le peu de temps que lui laisse ses occupations d‘assistant social, Jean-Paul continue à suivre les cours du rabbin Deutsch au P.S.I.L. Il s’y rend même tous les jours jusqu’à l’arrestation de son maître, en plein cours et en présence de Jean-Paul, pendant l’hiver 1942-1943.
Jean-Paul parvient, lui-même, par deux fois à échapper aux rafles. La veille d’une grande rafle à Périgueux, un ami EI de Jean-Paul surprend une réunion de la Gestapo dans le bar où il travaille. Celle-ci concerne la rafle en question ; il en entend la date et prévient Jean-Paul qui peut quitter la ville avec ses parents. Une autre fois, les allemands viennent directement chez la famille Bader pour les arrêter. Heureusement ceux-ci ont déménagé peu auparavant (ils habitaient juste en face de la caserne allemande). Prévenus par leur ancien propriétaire, ils ont le temps de quitter lors nouvel appartement et évite ainsi la rafle. (cf. notes)
Jean-Paul n’est pas le seul à courir de grands risques et il le sait. Il continue d’ailleurs ses missions de convoyages d’enfants vers les zones frontalières. Il reçoit aussi l’ordre d’organiser un camp EI (sous couvert des Éclaireurs unionistes, comme cela est souvent le cas. (voir chapitre 2) Ce camp est en fait le meilleur moyen de cacher des enfants réfugiés dans des écoles et des pensionnats pendant les vacances scolaires. Il participe encore à un camp qui a lieu à Oraadour-sur-Glane (près de Limoges) en juillet 1943, lors duquel il est totémisé Caméléon.
Mais avec la formation du maquis EI, Jean-Paul ne convoie plus des enfants mais des adultes qui partent grossir les rangs de la Compagnie Marc Haguenau.
LA RÉSISTANCE ARMÉE
LA FORMATION DU MAQUIS E.I.
Un travail de passeur
Comme nous l’avons vu précédemment, un groupe de huit personnes crée en décembre 1943 le maquis des EI. Celui-ci doit s’étoffer afin de devenir une force armée digne de ce nom. La direction des EI demande donc à certaines personnes spécialisées dans le convoyage de jeunes vers la frontière de s’occuper dorénavant des futures recrues du maquis. C’est la mission que reçoit Jean-Paul. Il est chargé d’emmener au maquis les plus âgés et les plus fort des membres des fermes EI.
Le trajet qu’il effectue à plusieurs reprises et toujours en binôme avec Marinette Kaufman est synonyme de très grand danger car il leur faut changer souvent de train ce qui est délicat pour un groupe d’une dizaine de personnes. Le risque d’être remarqué et arrêté et en effet beaucoup plus important que pour un couple, par exemple. Jean-Paul n’est vraiment rassuré qu’à la sortie de Castres, la population des environs étant – comme nous l’avons vu – favorable au maquis. Ainsi, dans le petit train reliant la préfecture du Tarn à Vabres, Jean-Paul confie tous les papiers compromettants qu’il possède au conducteur, afin de ne courir aucun risque en cas de contrôle allemand.
Jean-Paul ne reste jamais très longtemps au maquis car il doit sans cesse y convoyer de nouvelles personnes. Il retourne donc à Limoges où il vit à l’hôtel car il est devenu trop dangereux pour lui de rester dans l’appartement qu’il occupait avec ses parents. Néanmoins l’hôtel ne lui procure pas une sécurité absolue, les contrôles d’identité y étant fréquent. Il en subit d’ailleurs un qui faillit mal se terminer, lorsqu’un soldat allemand observe sa carte d’identité (sans tampon juif) au nom de Bader. Jean-Paul, en faisant semblant de parler un allemand moyen, lui explique qu’il est alsacien et qu’il fait des études de Droit à Limoges. Le soldat fouille malgré cela la chambre, y découvre des livres de prières et demande à Jean-Paul en quelle langue ils sont. Arabisch (arabe) répond-il, ce qui clôt un contrôle assez peu minutieux ; le soldat allemand n’ayant remarqué ni les fausses cartes d’identité cachées derrière le miroir, ni les pistolets accrochés aux battants des volets. (cf. notes)
Malgré cet incident, Jean-Paul poursuit sa mission de passeur de nouveaux éléments vers la Compagnie Marc Haguenau. Il effectue son dernier convoi en juin 1944 avant de recevoir, suite au débarquement de Normandie (cf. notes), l’ordre de rejoindre lui-même le maquis. Ce dernier convoi se passe bien jusqu’à l’arrivée dans le Tarn où des combats ont lieu et où la Résistance fait sauter de nombreuses voies de chemin de fer. Obligé de faire du stop, le groupe est arrêté par des soldats allemands car cela est interdit. Jean-Paul se débarrasse discrètement de tous les papiers qui les trahissent avant d’arriver à la Kommandatur où n’ayant rien de grave à leur reprocher, les allemands les relâchent. Les jeunes maquisards rejoignent donc leur cantonnement : Lacado, commandé par Adrien Gensburger, pour les religieux et Laroque, commandé par Roger Cahen, pour les moins religieux.
Son arrivée au maquis
Jean-Paul ne rejoint finalement le maquis qu’au début du mois d’août 1944. Il effectue une dernière fois le long trajet entre Limoges et Vabres où il arrive le 8 août au petit matin, juste après l’attaque du cantonnement de Laroque (voir chapitre 3). « Plus bas à la station du petit train en provenance de Castres, Jean-Paul Bader, Liliane Marx et quelques autres n’ont la vie sauve que grâce à leur présence d’esprit : ils se métamorphosent en serveuses et plongeurs au moment où, de retour de leur opération, les soldats allemands arrivent dans un café restaurant où eux-mêmes s’étaient arrêtés ». (cf. notes)
Jean-Paul devient donc maquisard et participe à toutes les actions de la Compagnie Marc Haguenau dont il devient l’aumônier, notamment l’attaque du train de Mazamet et la libération de Castres. (voir chapitre 3) Il s’engage ensuite, comme son sous-lieutenant Adrien, dans le régiment de cavalerie formé par le commandant Dunoyer de Segonzac, participe activement à ses victoires et rejoint à Dijon la 1re Armée française de De Lattre de Tassigny.
L’AUMONIER JUIF DE LA PREMIÈRE ARMÉE
Dunoyer de Segonzac propose à Jean-Paul de devenir l’aumônier juif pour la 1re Armée à condition de porter les armes et de combattre ; conditions refusées par la première personne à qui il propose ce rôle. Jean-Paul accepte et organise des offices dès que la situation militaire le permet.
Les combats, comme nous l’avons déjà dit dans le chapitre précédent, son durs et lourds en perte, notamment pour les EI. Néanmoins l’unité de Jean-Paul (commandée par Adrien) arrive sur les bords du Rhin à l’approche du printemps. Elle y obtient une permission pour Pessa’h fêté dans la ville toute proche de Belfort, déjà libérée. Fin avril, le Rhin est enfin franchi et quelques jours plus tard, le 8 mai, toute la 1re Armée française fête l’Armistice sur les bords du lac de Constance.
Jean-Paul reçoit l’ordre de s’occuper des nombreux juifs déportés de retour à Constance. Il doit leur trouver un logement, les aider pour toutes leurs démarches et surtout les soutenir après les années d’enfer qu’ils ont pour la plupart vécues dans les camps de la mort. Jean-Paul devient très vite l’un des aumônier juif officiel de toute la Zone Sud de l’Allemagne. Mais le besoin d’aide à la population juive locale est tellement important qu’il est loin d’être achevé lorsque Jean-Paul est démobilisé et qu’il rentre à PARIS à la fin de l’année 1946.
De retour en France, Jean-Paul ne quitte pas les EI ; mouvement au sein duquel il reste actif toute sa vie. Commissaire Local d’un groupe rue des Tournelles à Paris, il en crée un autre, en 1955, rue de la Victoire. Au cours des quarante années suivantes il occupe différents postes nationaux et internationaux (Commissaire général, Commissaire international). À l’heure où nous écrivons, il est toujours Commissaire Local du groupe de la Victoire. Durant toutes ces années, Jean-Paul n’a eu de cesse de raconter aux jeunes EI les actions menées par les anciens pendant la période de l’occupation sans jamais en tirer un quelconque profit personnel ni même vanter quelques qualités particulières des EI mais tout simplement en insistant sur le fait que c’était leur devoir de juif et de scout. (cf. notes)