Phénoménologie de la Téfila

miniane1- Un acte communautaire
La manière la plus extérieure dont on pourra décrire la Téfila, c’est le rassemblement. La Téfila est d’abord un acte commun, communautaire. Par elle se constitue un groupe.

Quiconque a connu l’inquiétude qui saisit la petite assemblée dans les synagogues, à l’attente du «dixième» qui conférera au groupe sa qualité de groupe, comprendra cela. Acte communautaire, la prière prend une dimension que ne possède aucun acte individuel.

Avant tout, la Téfila est donc cela : la création (constamment renouvelée) d’un groupe, et pour les individus qui le composent la conscience d’appartenir à un groupe (bien sûr, ce groupe est lui-même l’image d’un groupe plus large).

2- Une rupture dans l’action
La Téfila peut apparaître ensuite comme une rupture dans l’action, rupture étant entendue au sens le plus large du terme.

On renonce pendant un certain moment à l’action, c’est-à-dire à l’ensemble des activités «matérielles», toutes importantes à ce niveau matériel, pour faire autre chose, ou même pour ne rien faire du tout, apparemment.

La Téfila du matin = retrait, concentration, réflexion avant l’action ;

la Téfila d’après-midi et celle du soir = ruptures proprement dites dans cette action.

Parce qu’on n’est pas dupe et que, si l’action occupe presque toute notre vie, elle ne la possède pas toute (thème similaire a propos du Chabbat).

3- Une rupture dans le temps
Rupture dans l’action et, semblablement, rupture dans le temps ; dans le temps de la quotidienneté où «il n’y a pas une minute à perdre». Le temps de la Téfila est tout autre : il ne se mesure pas aux aiguilles des horloges. D’une part, on renonce à la bousculade des minutes filant sans espoir de retour mais d’autre part aussi on se situe dans un temps où le vide n’existe pas, et où la succession des instants se trouve «signifiante ».

Un temps aussi qui ne fuit pas, qu’on peut retrouver dans son immutabilité chaque fois qu’on le veut. On peut encore dire de lui qu’il est sacré, si on entend en cet adjectif la particularisation, la différence du quotidien.

4- Une référence
Ce qui assure cette immutabilité, au niveau le plus matériel, c’est le texte, un texte quasiment immuable. La prière juive n’est pas un «cri du coeur», porteur des messages du plus profond soi-même.

Elle est au contraire ce qui va permettre à ce «plus profond soi-même» de se réveiller, de se révéler, de se découvrir. Ensemble de références qui prétendent couvrir le réel dans ses multiples dimensions, le texte va être l’invite à une «mise en situation» à une introspection ; ce n’est pas nécessairement aux textes de «repentir» qu’il est fait ici allusion ; tous les textes de la Téfila ont cette fonction de révélateur, de références.

La mutabilité de l’homme trouve en ces références toujours identiques, le centre par rapport a quoi elle situe son mouvement (si du moins elle ne se veut pas errance et hasard), et à la mesure de quoi elle vient de s’analyser. Ainsi, c’est de l’homme et de sa vie qu’il sera question dans la Téfila, même si pour exprimer cela il est fait appel à des concepts qui, au premier regard, ne parlent pas de l’homme.

5- La relation d’altérité
L’une des valeurs qui apparaissent comme d’une importance majeure dans le texte est celle d’altérité. Cela parce qu’avant tout l’altérité est conçue comme le fondement de la situation existentielle de l’homme, et que la Téfila va être elle-même donnée comme réalisation totale d’une situation d’altérité.

C’est à un Tu (ata) que l’on s’adresse – un Tu qui est radicalement différent de soi. Cette radicale différence du Je et du Tu, Martin Buber en fait le fondement du dialogue véritable. Le Je ne cherche aucunement à s’approprier le Tu par une mise en valeur des éventuelles ressemblances. Il ne cherche pas non plus à se fondre dans le Tu par une sorte de mimétisme amoureux (la fusion mystique est étrangère au Judaïsme). Il s’agit de réaliser que chaque être possède sa spécificité, son originalité, et qu’aucune assimilation ne peut être entreprise entre deux personnes.

Cette relation d’altérité me fait découvrir qui je suis, mais aussi que je suis entouré d’autres, radicalement dissemblables de moi ; que le regard que je porte sur le monde est à ma mesure, mais qu’il existe d’autres mesures, infinies et que ma vie dans le monde est faite d’une incessante confrontation avec cette multiplicité de mesures.

La Téfila provoque, utilisant le Tu absolu, la constante redécouverte de cette altérité fondamentale, que la sécurité, que la chaude atmosphère du groupe de semblables tend à faire disparaître, mais où le Judaïsme voit l’essence de la société…

6- Une mise en situation
Retour au premier thème, dépassement dialectique ? Avons-nous trahi l’intention initiale de procéder à une seule description ? Nous n’avons pas encore touché aux thèmes, aux thèses et c’est encore un élément essentiel de la Téfila que cette mise en situation de l’individu dans le groupe qui l’amène à la fois à prendre conscience de soi-même et de la communauté, à pénétrer au fond de soi, et aussi de découvrir l’extérieur.

Peut-être cette oscillation perpétuelle est-elle réellement l’essence d’une Téfila qui aurait alors comme objectif de faire sentir à l’homme la multiplicité de sa condition, cause non de précarité, comme le voudrait la prière chrétienne, mais source de richesse, de dignité, et même de liberté.

 

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