(…) Après avoir exercé ses fonctions six ans, donnant au Mouvement une stabilité et un développement comme il n’en avait pas connu depuis longtemps, Raphy Bensimon décide de passer la main. A priori, deux hommes sont à même de postuler pour le remplacer, ceux qui depuis plus de cinq ans ont travaillé avec lui, ont été formés par lui, et ont mis en place, chacun dans son domaine, les différentes réformes des méthodes: Daniel et Gilbert. Chacun d’entre eux présente sa candidature au Conseil d’Administration, mais il semble que les chances de Daniel Robinsohn soient meilleures, dans la mesure où il est soutenu par le Commissaire Général sortant. A la surprise de tous, le Conseil d’Administration, dans sa séance du 28 mai 1972, opte pour une solution complètement différente. Au moins provisoirement, puisque la décision est valable jusqu’au Conseil National de 1973, l’idée d’un Commissaire Général professionnel est abandonnée au profit d’une répartition des tâches administratives entre plusieurs membres du C.A.. L’un d’entre eux, Michel Chousterman (Phaco), lui-même ancien permanent, assume le poste de Commissaire Général bénévole. Considérant cette décision comme irresponsable et la croyant dirigée contre lui, Daniel Robinsohn démissionne de ses fonctions de permanent Branche Cadette. Il est remplacé par l’une de ses proches, Yolande Klein.
Dans une certaine mesure, il s’agit d’un retour six ans en arrière. Du point de vue du C.A., bien sûr, qui sort du rôle administratif dans lequel Raphy avait réussi à le cantonner. Du point de vue de l’animation de Ségur également. Le Q.G. avait été animé en permanence par une forte personnalité, dont tout le temps était consacré aux problèmes du Mouvement ; il sera dirigé pendant une année par un C.G. qui ne peut être présent que deux fois par semaine et qui, du fait de ses propres occupations professionnelles, ne peut se rendre totalement disponible, malgré toute sa bonne volonté. A tout cela, s’ajoute le fait que l’équipe se renouvelle en grande partie. On l’a vu pour la branche cadette. C’est vrai également pour la branche moyenne, puisque Gilbert Dahan, s’occupant désormais uniquement des publications et de la préparation du C.N., est remplacé par un jeune responsable, Michel Fayman, tandis qu’à la région parisienne, un autre jeune responsable branche moyenne fait son apparition, Roland Bellahsen. Si l’on ajoute au tableau le nouveau shaliah, Jacky Pinto, et un responsable administratif, Juda Sebbag, lui aussi fraîchement arrivé, on a donc une équipe au potentiel important, mais qui est, dans l’ensemble, inexpérimentée.
Or, l’année qui s’annonce est une année importante, et difficile à préparer, puisqu’elle doit être celle du Conseil National et du 50e anniversaire des E.I.. Pourtant, en ce début d’année 1973, le mouvement semble se porter très bien. Groupes locaux actifs, nombre de cotisants élevé, publications de prestige qui sont admirées tant dans la Communauté qu’au Scoutisme Français, stages de formation de haut niveau, réflexion pédagogique et juive d’une très grande valeur intellectuelle, tous les indicateurs montrent une réussite dans la plupart des domaines. Lors de l’Assemblée Générale du 16 avril 1972, Raphy Bensimon, dans son rapport moral, avait cependant montré que des problèmes se posaient, tant dans le domaine des orientations idéologiques que dans celui des choix éducatifs. Voici quelques extraits de ce «testament politique» de Raphy (CR.25.), qui révèlent une partie des ombres du tableau :
«[..] 2) L’environnement des jeunes les incite à avoir une attitude passive de clients, de «consommateurs». Nous cherchons à les faire réagir contre cette attitude de facilité, à décider au lieu de subir, à exercer leur responsabilité. Atteignons-nous ce résultat ?
3) Les jeunes sont confrontés de plus en plus tôt à un langage et à des formes d’action politique. Avons-nous dans notre action fait une place suffisante pour leur permettre de se situer en connaissance de cause ?
4) Notre action se définit comme communautaire, réservant une place importante à Israël, et tournée vers la découverte de la Cité. Ces attachements qui se situent sur des plans différents sont inhérents à notre qualité de mouvement de jeunesse, juif et français. Y-a-t-il actuellement un équilibre dans la présentation de ces différents éléments? Faut-il nous attacher à mieux préciser la place de chacun d’eux ?»
Deux événements, à l’été et l’automne 73, précipitent l’heure des choix, plongeant le Mouvement dans la tourmente.
Le premier événement est d’ordre interne. Il s’agit de l’échec du rassemblement du 50e. Pourtant, l’échelon national avait commencé à préparer ce jubilé des E.I. dès 1971. A l’Assemblée Générale d’avril 1972, les grandes lignes sont présentées (CR25.) : l’ensemble des camps auront lieu dans une même région géographique pendant deux semaines et demi, et seront suivis de trois jours de rassemblement national sur un terrain commun. Le thème retenu est : «Être juif dans la cité de demain». Les dates sont déjà fixées, et même le terrain, puisqu’il est prévu que le centre du rassemblement se trouvera sur la commune de Lente, en plein coeur du Vercors.
Mais, dès la fin du mois de mai, la localisation du Vercors doit être abandonnée : «Les renseignements climatologiques concernant le plateau de Lente, dans la Drôme (pluie, brouillard, insuffisance d’eau potable) nous obligent à renoncer à ce premier projet et à reprendre les recherches dans d’autres régions». (C.A. du 28 mai 1972, ibid.)
Paradoxalement, ce sont justement les problèmes climatologiques qui vont être responsables de l’échec du projet ! C’est en plein mois de janvier 1973 que Phaco (Michel Chousterman) et Michel Fayman trouvent un terrain au-dessus de la ville de Murat (Cantal), dans la région du Lioran. Dans l’ensemble, il convient tout à fait au projet des E.I.. Deux détails passent alors inaperçus. Le centre du terrain est traversé par un petit ruisseau et une pente très forte sépare la partie basse de la partie haute. Ces deux détails deviennent des obstacles insurmontables par suite de la pluie diluvienne qui se met à tomber dès le premier jour du rassemblement, fin juillet 1973. La situation devient tellement dramatique que le site doit être abandonné et une évacuation est organisée avec le concours de la gendarmerie vers la ville de Murat, où les établissements scolaires ont été réquisitionnés pour permettre l’accueil de plus de 2000 participants. Après un grand rassemblement, en partie houleux, organisé dans la halle de la ville, chacun regagne sa ville d’origine, par autocar ou par le train spécial qu’a mobilisé la S.N.C.F. vers Paris.
Aucune des activités n’a pu être réalisée, et l’impression générale est désastreuse. L’une des conséquences du déluge a été l’annulation du C.N. qui devait se tenir après le rassemblement. Il est donc reporté au week-end du 1er novembre, et nombre d’animateurs sont bien décidés à trouver un bouc émissaire à ce qu’ils considèrent comme une faute d’organisation.
Le 6 octobre 1973, tandis que la majorité des membres du mouvement participent aux offices du Yom Kippour organisés dans toutes les synagogues de France, la rumeur de l’attaque syro-égyptienne leur parvient ainsi qu’à l’ensemble de la communauté juive de France. Si dans l’ensemble de la communauté, «la guerre de Kippour» a provoqué des réactions semblables à celles de «la guerre des Six Jours », l’éventail des réactions parmi les E.I. est beaucoup plus large que six ans auparavant. Au niveau individuel tout d’abord. Si certains, très peu nombreux, n’hésitent pas à partir comme volontaires en Israël, les plus militants manifestent leur solidarité en aidant à la collecte spéciale ou en cherchant à affirmer, par manifestations, tracts ou affiches, le bon droit d’Israël. D’autres cadres se posent, eux, des questions: «l’amour d’Israël ne les empêche pas de critiquer certains aspects de la réalité israélienne». Enfin, certains responsables, très militants à l’extrême gauche, n’hésitent pas à mêler leurs voix aux défenseurs inconditionnels des droits palestiniens. Ces prises de positions diverses se font très souvent avec une grande hésitation, dans une ambiance lourde, car l’Alya de France, et également l’Alya E.I., a été très forte dans les années d’après 1967. Chacun a là-bas de la famille ou des amis, et tente d’obtenir des nouvelles sur leur sort.
C’est dans ce contexte que deux initiatives prises au Q.G., pendant les premiers jours de la guerre, vont soulever un tollé parmi les plus fervents partisans d’Israël, creusant un peu plus le fossé entre les différents groupes idéologiques. Trois jours après le déclenchement des hostilités, un communiqué est envoyé à la presse (Le Monde en diffusera des extraits) sur papier à entête du Mouvement, signé par Gilbert Dahan et Jacques Pinto, «responsables nationaux». Les premières lignes en donnent la tonalité générale (Archives privées Alain Michel) :
«À l’embrasement de la violence, il faut répondre par l’hystérie de la paix (Inscription gravée à l’entrée de l’École israélienne d’officiers).
Il y a, dans le Midrach Rabba sur l’Exode, un fort beau texte. Après la traversée victorieuse de la Mer des Roseaux par les Hébreux et l’engloutissement de l’armée du Pharaon, les Anges, exultant de joie, s’en vont trouver Dieu : Il pleure. «Comment me rejouirai-je, alors que tant parmi mes fils ont trouvé la mort ?»
La violence, la guerre sont odieuses. Quels que soient les vainqueurs, quelles que soient les victimes.»
Le souci d’équilibre est tel que l’impression qui en ressort est que cette guerre a été imposée de la même manière aux Juifs et aux Arabes. Pour tous ceux qui ont déjà été profondément choqués par l’attitude du Ministre des Affaires étrangères français Michel Jobert, la lettre de Gilbert et Jacky est considérée comme une véritable provocation. Cette impression est confirmée par un deuxième incident. Au moment où la guerre de Kippour éclate, Jacky Pinto est en train de terminer la frappe d’un numéro spécial du B.I.P., le journal de la branche perspective, consacré essentiellement au coup d’état du général Pinochet au Chili, qui a eu lieu début septembre 1973, soit un mois avant le déclenchement des hostilités. Jacky, appuyé par plusieurs membres de l’équipe de Ségur, maintient l’envoi de ce journal, qui va donc arriver à ses destinataires pendant la guerre elle-même. Bien plus, non seulement le seul texte consacré à la guerre est un extrait du communiqué dont nous venons de parler, mais encore, l’une des rares autres allusions à l’état d’Israël dans ce numéro dénonce :
«le silence d’Israël aux fusillades fascistes de Santiago, [qui] est une brûlure au coeur de la jeunesse juive de France».
C’est donc sous le choc de ces deux événements que se retrouvent, fin octobre, près de deux cents responsables du Mouvement au château d’Herbeys, au-dessus de Grenoble. Les débats sont dominés par ces deux problèmes. Si les commissions de branche fonctionnent sans accroc, mais également sans coordination dans la direction pédagogique qui est donnée, les commissions générales sont le théâtre d’échanges verbaux entre partisans des diverses options. Après la coupure du shabbat, une nuit dramatique commence le samedi soir. Dans la grande pièce où tous sont rassemblés pour la discussion générale sur les motions, les deux camps qui se sont peu à peu constitués s’affrontent violemment autour des trois sujets de discorde: la pédagogie de la liberté, la place de la pratique juive et le lien avec Israël. Pour la première fois, le Mouvement, qui a su par son pluralisme faire se côtoyer des gens tellement différents, est au bord de l’éclatement, écartelé entre une aile traditionaliste et pro-israélienne et une tendance plutôt libertaire et a-sioniste.
Cet affrontement se produit encore le lendemain, puisque pour les dix-huit sièges à pourvoir pour le Conseil d’Administration se présentent trente-six candidats! Du jamais vu aux E.I., même lors du C.N. de 1966. Les résultats sont d’ailleurs favorables globalement à l’aile la plus conservatrice. Mais le dernier acte du drame se joue lors de l’Assemblée Générale, où le rapport moral du Commissaire Général sortant, mis aux voix, est mis en minorité, une certaine unanimité se refaisant autour de la désignation d’un bouc émissaire qui serait responsable de l’échec du cinquantième.
Le Mouvement sort donc profondément divisé de ce Conseil National. Le nouveau C.A., sous la présidence de M. Ventura, seul membre de l’ancien Conseil à avoir été réélu, nomme en janvier 1974 J.P. Bader Commissaire Général intérimaire, avec comme adjoint Gilbert Dahan. Jusqu’à l’été, J.P. Bader, maître dans l’art des compromis, réussit à maintenir le Mouvement en activité en évitant les affrontements idéologiques, et en encourageant la poursuite du travail sur les méthodes de branche. Les onze cantonnements louveteaux, dix-neuf camps branche moyenne et quatre camps perspectives organisés au mois de juillet prouvent que sur le terrain, les activités continuent sans problèmes. Mais la tension persiste, et elle éclate à nouveau au moment des Stages du Mont-Dore, qui réunissent un nombre record de participants. On assiste de nouveau à un clivage entre Branche cadette d’un côté, Branches moyenne et perspective de l’autre. Le sujet de discorde est différent, mais pose là aussi un problème de choix entre la notion de liberté et les valeurs juives: il s’agit en l’occurrence de savoir jusqu’où peut (et doit) aller la mixité. Un phénomène, entre autres, se développe de plus en plus, particulièrement dans les activités d’animateurs, celui des tentes mixtes. Malgré la thèse de Gilbert Dahan sur la garantie morale assumée par la mixité, «puisque si toute la tente est mixte, il ne se passera rien» (témoignage de G. Dahan), les défenseurs des valeurs morales du Judaïsme voient dans cette situation une menace pour le statut du Mouvement dans la Communauté, et une contradiction avec ses buts éducatifs. Plusieurs nuits de suite, des discussions vont opposer partisans et adversaires de la mixité, autour de Rav Elyahou Abitbol de Strasbourg, venu comme instructeur de Judaïsme aux stages, mais accepté par tous comme arbitre du débat.
«Certains stagiaires du Mont-Dore de la Branche Moyenne refusent qu’on leur impose des règles telles que la non-mixité des tentes car, disent-ils, ils ne sont pas des gamins, mais des responsables de branches.»
La conséquence de cet épisode est le renvoi, par le C.A., de Roland Bellahsen ainsi que de Martine Chiche, son adjointe, considérés comme responsable des incidents qui se sont produits. Cette mesure entraîne une véritable révolte des responsables de Branche Moyenne et Branche Perspective, qui réclament la démission du Conseil d’Administration, et qui organise début novembre 1974 à Paris une Assemblée Générale contestataire. La centaine de présents adoptent un programme de démocratisation de l’Association :
- le pouvoir à la base qui élit les commissaires locaux et régionaux
- les locaux et régionaux élisent une équipe nationale ; [...] Cette équipe nationale nomme le C.G. et les permanents.
- Parallèlement la base élit un C.A. dont le rôle sera uniquement représentatif et administratif financièrement.
- Signature d’une motion décidant de destituer le C.A. existant par un vote. Si celui-ci ne se soumet pas, ils en institueront un parallèle et passeront outre à toutes les décisions du C.A. actuel.
Face à ces menaces, le Conseil d’Administration organise l’Assemblée Générale régulière du Mouvement, le 24 novembre, à Herbeys, près de Grenoble, espérant sans doute décourager les éventuels perturbateurs du fait de la distance à parcourir pour une journée seulement de débats. Mais, signe que le Mouvement leur est cher, la plus grande partie des animateurs sont présents, prêts à vider leur querelle. Malgré les appels de certains à rendre aux «événements E.I.» leurs justes proportions, l’actualité, notamment par rapport à Israël exigeant une mobilisation de toutes les forces, la discussion s’engage sur le rapport moral, révélant une fois encore le blocage de la situation. C’est alors qu’apparaît le Deus ex machina en la personne de Raphy Bensimon :
« Après la suspension du déjeuner, et afin de faire avancer la discussion tout en évitant une éventuelle scission du Mouvement, en ces heures où la Communauté Juive a besoin d’étre solide, des anciens et le C.A. font appel à Raphy Bensimon pour présider la suite des débats. Raphy procède à une synthèse de la situation de la manière suivante:
- il faut faire des efforts pour sauvegarder notre pluralisme
- deux orientations sont à distinguer dans la contestation que connaît le Mouvement, qui concernent :
a) l’idéologie. minimum commun, coéducation, structures
b) les nouvelles structures proposées par certains, qui impliqueraient non seulement la modification des statuts, et celle du Règlement Intérieur, mais même celle de la Loi de 1901, ce qui dépasse évidemment les possibilités du Mouvement lui-même.»
Finalement, Raphy, reprenant le vieux principe des créations de commissions pour enterrer un projet, réussit à faire voter à la quasi unanimité une motion demandant la mise en place de commissions à tous les échelons de la pyramide du Mouvement, commissions qui sont appelées à étudier les problèmes suivants:
- coéducation
- pédagogie du judaïsme
- place d’Israël dans l’action éducative du Mouvement
- structures d’animation du Mouvement
Si la proposition de Raphy permet de calmer le jeu sur le plan idéologique, les problèmes de pouvoir ne sont résolus que par le renouvellement d’un tiers des membres du Conseil d’administration. Pour les six sièges disponibles, 21 candidats se présentent ! Sur les six élus, cinq appartiennent au courant dit de gauche. Un renversement se produit donc, et la Branche Cadette se trouve, à son tour, sur la défensive.
Les frictions vont donc continuer pendant quelques mois, le nouveau Commissaire Général, Maurice Cohen, n’arrivant pas suffisamment à imposer son autorité. Le dernier soubresaut de la crise a lieu peu avant l’été 1975. C’est cette fois-ci l’équipe nationale branche cadette qui se révolte, exigeant, pour assumer l’encadrement des cantonnements bâtisseurs, l’adoption d’une charte que tous les animateurs seraient tenus de signer avant d’encadrer un camp du Mouvement, pour en garantir la «moralité». À l’exception de Daniel Robinsohn, tous les autres membres du C.A. rejettent ce chantage, provoquant la démission de Yolande Furth, responsable nationale de la branche cadette, et de la plus grande partie de son équipe. Tandis que Daniel Robinsohn entame une procédure auprès du Ministère de la Jeunesse et des Sports afin de créer un mouvement scout dissident, les anciens membres de l’équipe nationale adressent une lettre collective aux parents, annonçant qu’ils ne peuvent garantir moralement les camps d’été.
Ce qui pourrait être le point de départ d’un nouveau développement dramatique n’est, en fin de compte, que le dernier feu d’artifice de cette crise, même s’il se révèle être d’un prix coûteux, puisque les parents comme les organismes communautaires vont se montrer inquiets de l’état du Mouvement.
Quels sont les facteurs qui contribuent à l’arrêt de cette crise ? Le premier, c’est sans doute l’âge. Peu à peu, les différents acteurs de ce conflit quittent la scène parce qu’après deux, trois, parfois quatre ans de tensions et de disputes, leurs occupations extra-mouvement prennent tout simplement le dessus. Les transformations de la société ambiante jouent également leur rôle. Le «gauchisme» est partout en retrait, de nouvelles conceptions apparaissent, une nouvelle jeunesse également, pour qui les enjeux sont différents. Enfin, dans ces derniers mois, cette crise a pris l’allure de plus en plus d’un affrontement de personnes, de caractères. La disparition de ces personnalités encourage un retour à une certaine stabilité.
Quelles traces cette crise va-t-elle laisser ? Le départ, parfois brusque, de certaines personnes provoque souvent un manque de continuité dans l’animation locale. La faiblesse de l’action de la direction nationale avenue de Ségur, du fait du renouvellement rapide des équipes dirigeantes, accentue cette décomposition locale : plusieurs groupes vont péricliter, voir même disparaître, et l’année 1975-1976 connaît une baisse notable des effectifs.
En même temps, cette crise a accentué la mutation du Mouvement. Les nouvelles équipes qui se mettent en place vont reconstruire une dynamique du mouvement sur les bases qui se sont développées pendant ces années-là. Peut-être l’aspect juif est-il celui qui l’illustre le mieux. Tandis que la jeunesse post-1968 se cherchait le plus souvent une spiritualité en dehors de la civilisation chrétienne ambiante, la jeunesse juive, et en particulier E.I., s’interrogeait sur une nouvelle lecture de ses propres racines. Et d’une certaine manière, la «pédagogie du Judaïsme» a sans doute permis de recentrer le Judaïsme dans les valeurs du mouvement, même si la recherche des sources n’a plus le même aspect révolutionnaire après 1976.
La reprise en main du Mouvement est donc marquée par ce double aspect de rupture et de continuité, de recherche d’un nouvel équilibre idéologique comme pédagogique (…)