Les noms de la prière

En pensée juive, la manière de nommer les choses et les êtres n’est pas indifférente. Et si nous faisons tant de contresens sur la signification de la « prière », c’est que nous la désignons d’un mot chargé d’un contenu tout autre que celui de la Téfila.

Etudions l’histoire du mot « prière » : il est employé pour la première fois dans un texte français au début du 12e siècle, et provient du latin populaire precaria, féminin substantivé de l’adjectif precarius, « qu’on obtient seulement par la prière, mal assuré, précaire ».

La mutation sémantique de précaire à prière s’explique aisément par la signification chrétienne donnée à la prière (v. le texte de K. BARTH) : une « réponse de l’homme quand il comprend sa détresse et sait qu’un secours vient de lui ».

La prière est ce qui traduit la précarité de l’homme.

1- Au contraire, l’un des noms juifs de la prière est Téfila, que l’on rattache à une racine signifiant l’idée de jugement, et au verbe léhitpatel, « prier », mais originellement « se juger ».
Cette valeur du terme désignant la prière exprime donc bien ce que nous avons dit plus haut à propos de « l’introspection », de « l’auto-jugement », fondement de la Téfila juive.

2- Un autre terme de la langue hébraïque désigne la prière : Avoda. On sait qu’il s’agit du nom, en hébreu moderne, du « travail ».
Mais il possède une seconde connotation, celle de « service (fourni) » (cf. Évèd : serviteur, servant). Ces deux significations sont liées, et l’on peut tirer quelques enseignements des nuances qu’elles présentent.

La ‘Avoda, au sens du « travail », est exactement le « passage à l’acte ». La prière comme avoda est alors le passage de la parole en puissance à la parole en acte, permettant aux données diffuses enfouies en chacun de venir au jour, de s’exprimer ; à l’introspection de la Téfila succède dont la réalisation de la ‘avoda : explicitation et adhésion aux idées que nous avons pu évoquer tout à l’heure.

- La seconde valeur du terme, contenant l’idée de « service », est à prendre au sens le plus large. Le « service » établit un « lien » : en rendant service à quelqu’un, en servant quelqu’un, je me situe par rapport à lui, et crée entre lui et moi une série de liens.

Dans la ‘avoda, quels sont les deux partenaires ainsi liés ? Moi et l’Autre, au sens où nous avons défini cet autre, depuis mon voisin jusqu’ à l’Autre Absolu (dont nous reparlerons).

 

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