Adrien Gensburger

adrien_gensburgerAdrien Gensburger,
le sous-lieutenant du maquis EI

UNE JEUNESSE EN ALSACE

C’est dans le Mulhouse allemand qu’Adrien GENSBURGER naît le 26 février 1916, en pleine Guerre Mondiale. Allemand de naissance, donc, il n’obtient la nationalité française que lorsque l’Alsace réintègre la France à la suite du Traité de Versailles de 1919.

Son père est un petit fonctionnaire du Ministère des Finances, mais il est aussi militant politique et syndicaliste très actif. Ainsi, il est membre de la S.F.I.O. et de la Fédération générale des fonctionnaires du Haut-Rhin. Adrien apprend donc très tôt la valeur et l’importance de l’engagement au sein d’associations mais aussi de la Société. La mère d’Adrien est sans emploi et s’occupe de l’éducation de ses deux enfants (son frère cadet naît en 1925).

Adrien suit un cursus scolaire classique au lycée de garçons de Mulhouse. Il y obtient son Baccalauréat en 1933. Il entreprend ensuite des études de Droit à Strasbourg mais se rend très vite compte que celles-ci, l’intéressent très peu. En effet, par un idéal sioniste très fort l’habite. Il veut être utile à la construction d’un état juif en faisant son alya. Il s’inscrit donc à l’Institut Agricole de Nancy en 1935, conscient qu’en Palestine toutes les plantations sont encore à faire et que cette terre a besoin de spécialistes en agriculture, surtout dans les kibboutzim naissants (cf. notes).

A la fin de l’année universitaire 1936, il quitte l’Institut avec un diplôme d’ingénieur agricole en poche. Élève brillant, il obtient parallèlement une Licence de Sciences. Adrien effectue plusieurs stages dans différentes exploitations agricoles durant l’été 1936 pour ajouter la pratique à la théorie acquise à Nancy.

La vie juive de la famille GENSBURGER

La mère d’Adrien, originaire d’un important village du Bas-Rhin, est issue d’une famille très religieuse. Son père, bien que moins observant, est aussi assez traditionaliste. La famille Gensburger est donc plutôt attachée à sa religion et respecte les principales fêtes juives. Par ailleurs, elle fréquente relativement assidûment la communauté juive de Mulhouse et sa synagogue.

Ainsi, parallèlement à son parcours scolaire laïc, Adrien suit des cours d’instruction juive au Talmud Torah du rabbin Kaplan, son maître jusqu’à sa Bar Mitsvah en février 1929. Après sa Bar Mitsvah, il continue à fréquenter la synagogue et poursuit son éducation religieuse auprès du rabbin Hirschler qui remplace le rabbin Kaplan au cours de l’année 1929 au poste de rabbin de Mulhouse.

L’école laïque et le Talmud Torah ont bien sûr grandement contribué à la formation professionnelle et religieuse d’Adrien ; mais c’est sans doute sa vie de scout qui va lui apprendre ce que sont l’engagement et la prise de responsabilités, deux des valeurs qui détermineront ses actions à venir.

UN DES PREMIERS E.I. DE MULHOUSE
Avant la création des EI de MULHOUSE

En 1926, quand Adrien décide d’être scout, les EI n’existent pas encore à Mulhouse. Néanmoins il fait tout de même son entrée dans le mouvement scout, au sein des Éclaireurs unionistes de France, afin d’être avec ces camarades de classe et de pratiquer les mêmes activités qu’eux. Ainsi, il devient, à 10 ans, louveteau dans ce mouvement.

Au sein des EU (diminutif usuel des Éclaireurs unionistes de France), Adrien apprend les valeurs chères au scoutisme: la vie en communauté, le respect de la nature, les Bonnes Actions, mais aussi le fait de savoir être «propre dans son corps et son esprit». (cf. notes) Après deux ans passés au sein du groupe des louveteaux, il devient éclaireur en 1928. Mais après une année en tant qu’éclaireur chez les EU, il ressent comme un manque. A l’âge de la Bar Mitsvah, il veut développer encore un peu plus son judaïsme et appartenir à un mouvement de jeunesse juif. Les EI, que Sigismond Haït (Loup-Gris) vient de créer à Mulhouse, répondraient sans doute à ses attentes.

La troupe EZRA

La troupe EZRA n’existe que depuis 1928 et a donc encore besoin de recruter des jeunes afin d’augmenter son effectif. C’est dans cette optique que Loup-Gris propose à Adrien de l’intégrer à la troupe. Tous deux s’en félicitent : Adrien peut allier scoutisme et judaïsme, Loup-Gris dispose d’un nouvel élément qui connaît très bien l’état d’esprit scout et présente déjà des qualités de futur chef.

Adrien, totémisé Ourson Noir, devient très vite chef de patrouille adjoint. Par la suite, grâce à ses capacités et son engagement, il occupe des fonctions de plus en plus importantes. Il passe chef de patrouille à seize ans. Son parcours EI l’amène tout naturellement à la responsabilité de chef de troupe. Responsabilité qu’il occupe jusqu’à ce qu’en octobre 1936, il soit appelé sous les drapeaux, comme tous les jeunes de sa classe.

Du service militaire à la Guerre

Cette incorporation oblige Adrien à abandonner toute activité, qu’elle soit agricole ou scoute, afin de rejoindre son régiment. C’est au sein du 6e bataillon de chasseurs alpins de Grenoble qu’il effectue ses classes et devient élève officier de réserve. Cette situation dure pendant un an au cours duquel il apprend les bases de l’action militaire : le maniement des armes, la discipline (qu’il connaît déjà en tant que scout).

La seconde année de son service militaire est plus calme et nettement moins axée sur les actions sur le terrain puisque, ayant fait des études scientifiques, il est envoyé à Autun (Saône-et-Loire) pour enseigner les sciences dans une école d’élèves officiers. En octobre 1938, après les deux années légales de service militaire, il est libéré. Il décide donc de  reprendre les stages en exploitations agricoles qu’il avait dû interrompre après l’été 1936. A cette fin, il se rend dans le Midi.

Mais dès le début de l’année 1939, Castor – dont le but est d’amener les EI au travail de la terre – lui demande en tant qu’ingénieur agricole de prendre la direction d’un groupe agricole EI près de Saumur. Son attachement intact au mouvement l’incite à accepter immédiatement cette proposition. Il doit néanmoins vite y renoncer. En effet, suite à l’entrée d’Hitler dans Prague le 15 mars 1939, il est rappelé au 6e bataillon de chasseurs alpins en tant que réserviste afin d’être disponible en cas de conflit armé. Ce conflit armé ne tarde pas à se déclencher puisque le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne nazie. Adrien, mobilisé, s’apprête à vivre des heures très difficiles.

DE LA DRÔLE DE GUERRE À LAUTREC

LA MOBILISATION
Sa guerre

Mobilisé à Grenoble au sein du 6e bataillon de chasseurs alpins, Adrien attend – comme ses camarades – que le conflit atteigne la France. En effet, durant les premiers mois de la guerre, ils sont contraints de ne faire que des manoeuvres. Ce n’est qu’en mai 1940 que les premières attaques allemandes sur le territoire français les entraînent à réagir et à contre-attaquer. A la suite d’une défaite de son bataillon en juin 1940, il est fait prisonnier. Avec onze autres camarades, il est conduit dans un village de la province allemande de Hohenzollern. C’est là que pendant tout l’hiver – très rude et très enneigé cette année-là – il prépare son évasion. (cf. notes)

Sa libération

Finalement Adrien n’a pas besoin de prendre les risques de s’évader puisque au printemps 1941, les allemands décident – malgré son nom qui a une consonance juive – de le libérer. C’est grâce à son statut particulier d’alsacien et grâce à son métier qu’il bénéficie de cette libération. En effet, depuis l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, Adrien est considéré comme allemand et en tant qu’ingénieur agricole, les allemands pensent qu’il peut être utile au pays en ces temps difficiles.

En mai 1941, il est de retour à Mulhouse où, grâce à la complicité de ces amis, il peut retrouver des vêtements civils. Il rejoint un de ses amis alsacien qui a une exploitation agricole d’où il réussit, par chance, à franchir la frontière suisse. Mais, arrêté par la police helvétique, il est emprisonné à Neuchâtel pendant dix jours en tant que clandestin avant d’être reconduit manu militari à Genève, puis en Zone Libre à Annecy, où il est enfin officiellement démobilisé.

Après avoir passé quelques jours avec ses parents réfugiés à Marseille, il décide de se rendre à Lautrec (Tarn)Castor a organisé, dès la fin de l’année 1940un chantier rural EI.

LE CHANTIER RURAL DE LAUTREC
Une hakhchara EI

«Castor avait le rêve (…) de former des équipes de paysans juifs français sachant cultiver la terre et rester attachés aux traditions juives.» (cf. notes). C’est à cette fin qu’il crée en 1939 le groupe agricole de Saumur que nous avons déjà évoqué plus haut. Ce projet ne survit pas au conflit de 1939-1940, mais Castor veut absolument renouveler cette expérience des plus instructives pour la jeunesse juive. Ainsi l’équipe nationale EI regroupée à Moissac (Tarn-et-Garonne) en août 1940 décide la création d’un certain nombre de groupes ruraux. (cf. notes)

Celui de LAUTREC est ouvert le 11 novembre 1940 à la ferme de La Grasse. Quelques mois plus tard, Gamzon loue une autre bâtisse La Roucarié, non loin de La Grasse qui accueille un autre groupe rural. Ceux-ci permettent, au-delà du rêve de Castor, de regrouper clandestinement des jeunes Juifs étrangers recherchés par le Gouvernement de Vichy en vertu de la Loi sur les ressortissants étrangers de race juive du 4 octobre 1940. (cf. notes)

Le travail aux champs et les conditions de vie sont durs pour des citadins ; le ravitaillement notamment pose des problèmes. Néanmoins, la plupart des garçons travaillent avec enthousiasme et avec le même but final : apprendre l’agriculture et les métiers annexes. (cf. notes) De plus, l’atmosphère de Lautrec est très joyeuse et dynamique sous l’impulsion de Castor et de Léo Cohn qui y résident et organisent chorale et Chabbatot traditionnels. Les jeunes défricheurs peuvent donc profiter d’une ambiance chaleureuse et spirituelle au sein du chantier rural alors qu’à l’extérieur ils risquent – pour certains – l’arrestation et la mort.

Castor, de son côté, ne reste pas continuellement à Lautrec. Il se déplace beaucoup et visite souvent les autres fermes EI : notamment celles de Taluyers (non loin de Lyon) et de Charry (près de Moissac) dirigées respectivement par Chameau et Isaac Pougatch. Pour assurer la bonne marche de Lautrec pendant ses voyages, il décide de faire appel à deux agronomes : André Lyon-Caen (Musa) qui s’occupe de la petite ferme de La Roucarié et Adrien qui dirige celle de La Grasse. Celle-ci a acquis une semi-indépendante en raison du relatif éloignement de La Roucarié qui sert de centre administratif. Adrien se voit donc attribuer une responsabilité accrue.

Le rôle d’Adrien

C’est au cours de l’été 1941 qu’Adrien prend, à la demande de Castor, la direction logistique du chantier rural de Lautrec. Seul agronome de formation à la ferme de La Grasse, il est chargé de veiller au bon déroulement des activités agricoles : défrichage, plantage, moisson, récolte. Il tient en quelque sorte le rôle de métayer, tenu de dédommager – en nature – en temps et en heure le propriétaire des champs et de la ferme que les EI exploitent. Il est aidé dans cette tâche par trois autres camarades EI qui participent avec lui à la réussite du chantier ; réussite réelle et totale dont les défricheurs sont fiers. Eux qui n’étaient pour la plupart que des citadins sont devenus de vrais paysans réussissant le fameux retour à la terre voulu par Gamzon et le Conseil national des EI en 1940. (cf. notes)

Mais à l’été 1943 à la suite de la seconde dissolution du mouvement – que nous avons déjà évoqué dans le chapitre précédent – et de plusieurs arrestations de membres importants des EI, le Conseil national prend la décision de disperser tous les groupes. Il faut alors cacher les membres du chantier qui, après avoir échappé – pour certains et grâce à différents stratagèmes – à des rafles, sont à nouveau en danger. Des planques sont donc trouvées pour les plus jeunes défricheurs, notamment dans des internats. (cf. notes)

Gamzon demande alors aux plus âgés de rejoindre la Résistance. Certains refusent et sont cachés chez des paysans des environs chez qui ils deviennent ouvriers agricoles D’autres, «conscients de devoir être utiles à leur pays» et ne discutant pas un ordre, décident qu’il est effectivement temps de se battre. Adrien fait partie de ces derniers et se rend alors avec sept camarades, toujours à la demande de Castor, dans le Tarn. (cf. notes)

La décision d’organiser un maquis spécifiquement EI est prise. Il faut donc maintenant trouver un lieu pouvant servir de quartier général. C’est dans une petite ferme, La Malquière, située au nord-est de Castres (Tarn) dans le massif du Sidobre, que s’installe le 16 décembre 1943 l’embryon de la future Compagnie Marc Haguenau.

LE SOUS-LIEUTENANT ADRIEN
Un des premiers maquisards EI

La première tâche des huit fondateurs de maquis EI venus des différents centres est de trouver un endroit habitable. Ils ont beaucoup de mal mais s’installent finalement dans la ferme de «la Malquière» que nous avons évoquée plus haut. Celle-ci est assez fonctionnelle puisqu’elle est composée «d’une maison avec deux pièces et un grenier, le tout parfaitement logeable. A côté, un local qui leur sert de cuisine et de réfectoire et tout près une excellente source qui devint le témoin de leurs ablutions.» (cf. notes) Le confort n’est évidemment pas le soucis principal d’Adrien et de ses camarades. La sécurité qu’apporte la relative hauteur des lieux les conforte dans leur choix. Par ailleurs ils se rendent rapidement compte que cette région, à grande majorité protestante, favorable à la Résistance, a caché des Juifs lors des rafles de 1942.

«Le maquis et la Résistance y ont vécu comme un poisson dans l’eau» (cf. notes) précise d’ailleurs Adrien qui se rappelle «ce paysan d’un hameau voisin venant à notre rencontre avec une miche de pain sous chaque bras et une bouteille de vin dans chaque main, le tout en guise de bienvenue».

Le quotidien du maquis allie parfaitement vie militaire et vie juive. Adrien, qui a l’expérience de l’armée et de la guerre, fixe l’ordre du jour. On réserve la journée aux exercices physiques et à la reconnaissance de tout le secteur. Quant aux soirées, elles sont occupées soit par de la théorie militaire, soit par des discussions sur des sujets variés. Le maquis ne perd ni sa spécificité scoute ni son caractère juif : le repos de chabbat est notamment respecté le mieux possible.
Mais un souci majeur tourmente les jeunes maquisards : ils n’ont pas d’armes. Ce n’est qu’en février 1944 qu’ils peuvent s’en procurer, «au détriment de la résistance locale qui désirait les garder jalousement» (cf. notes), grâce à un subterfuge de Pierrot Kauffmann, resté à Lautrec.

Adrien, chef du cantonnement de Lacado

Au mois d’avril 1944, l’Équipe nationale décide «de demander à chaque E.I.F. au-dessus de dix-sept ans de choisir entre le travail dans la «Sixième», le passage en Espagne pour se rendre en Eretz Israël, ou la résistance armée.» (cf. notes) Le maquis s’étoffe donc peu à peu grâce à l’apport de camarades EI venant souvent des anciens centres. C’est le cas notamment de Gilbert Bloch qui, arrivé de Lautrec, est promu lieutenant et prend le commandement. Le même soir, Adrien est nommé sous-lieutenant par Castor, Chameau et Bouli lors d’une cérémonie belle et solennelle. (cf. notes)

La ferme de La Malquière devient donc trop petite pour accueillir tous les nouveaux maquisards et ne leur garantit plus une sécurité suffisante, Adrien sait d’ailleurs que d’autres doivent encore arriver de Lautrec. Ainsi en avril 1944, il quitte le groupe de «la Malquière» afin de trouver un second cantonnement. Il découvre ainsi un nouveau local au lieu-dit Lacado. Celui-ci se trouve sur les hauteurs de l’autre côté de la vallée et offre une vue étendue (cf. notes).

Adrien prend le commandement de ce cantonnement qui compte, immédiatement après le débarquement, 38 maquisards (dont deux officiers) tous Juifs. (cf. notes) Il est sous les ordres de Castor qui a rejoint la Compagnie Marc Haguenau en tant que lieutenant – son grade dans l’armée française – et sous le pseudonyme de Lagnes. A partir de ce moment tout le secteur de la montagne tarnaise est déclaré zone libre et la Résistance assure le ravitaillement de la population et des maquis. Lors de «réquisitions» opérées dans le secteur, Adrien obtient pour son «groupe de «Lacado» une moto, une voiture Simca V et un camion gazogène.» (cf. notes) dont il espère pouvoir se servir lors des parachutages de matériel qu’il attend, tout comme les autres maquisards, avec une impatience de plus en plus insoutenable. Ainsi tous les soirs il est à l’écoute de la radio de Londres. Il espère entendre le message annonçant un parachutage sur le terrain, dénommé Virgule, prévu à cet effet et qu’il a découvert avec ses camarades quelques mois plus tôt lors de leurs repérages.

Ce sont de grands cris de joie qui accueillent leur message le soir du 22 juin : «de la chouette au merle blanc le chargeur n’a que vingt balles. Nous répétons. N’a que trois fois vingt balles». (cf. notes) Ce premier message annonce pour le sous-lieutenant Adrien ainsi que pour toute la Compagnie Marc Haguenau une longue série de réceptions de parachutages mais aussi de combats.

DU MAQUIS E.I. À LA PREMIÈRE ARMÉE

UN MAQUIS TRÈS ACTIF
Un des premiers maquisards EI

Les parachutages

Le 22 juin 1944, la Compagnie Marc Haguenau doit donc réceptionner son premier parachutage. «Trois feux [sont] allumés dans l’axe du terrain [et] trois quadrimoteurs [larguent] neuf tonnes de matériels». (cf. notes) Mais chaque container faisant un poids d’environ 200 kilogrammes, Adrien se rend vite compte que son groupe ne peut tout transporter seul. Aussi décide-t-il de demander de l’aide à des voisins, favorables à la Résistance comme nous l’avons vu précédemment. Les paysans locaux arrivent donc sur les lieux avec boeufs et vaches qui traînent les containers, dispersés un peu partout sur la zone du terrain Virgule, jusqu’à la route. Là, les camions emportent le matériel jusqu’aux différents cantonnements. (cf. notes)

Ayant dorénavant en sa possession des armes de bonne qualité (fusils et mitrailleuses américains) et suffisamment de munitions, Adrien peut entreprendre de former sérieusement les EI à la chose militaire. Il ne perd pas de vue que la plupart de ses maquisards sont jeunes et sans aucune expérience du maniement des armes. Adrien et les autres officiers du maquis EI ont en effet le souci de faire de leurs éclaireurs de vrais militaires, disciplinés et efficaces.

Le terrain Virgule reçoit encore de nombreux parachutages en juillet et en août 1944. Mais Adrien s’étonne de ne pas réceptionner que du matériel. En effet «un soir, [il a] la surprise d’accueillir un commando de quinze militaires américains spécialisés dans le sabotage. Un autre soir, en plus des containers d’armes ce fut le délégué militaire régional d’Alger avec son opérateur radio». (cf. notes)

Le balisage et la protection de Virgule sont assurés pour toute la région militaire par la Compagnie Marc Haguenau. Mais ses officiers, et parmi eux Adrien bien sûr, considèrent qu’ils ne peuvent plus le faire, leur message radio ayant trop souvent été divulgué. Ils pensent que les allemands feront très vite le rapprochement entre celui-ci et le lieu des parachutages. Ils préconisent donc la modification du message et un arrêt momentané des parachutages afin d’éviter tout risque d’attaque. Mais cette crainte arrive trop tard et l’irrémédiable finit par arriver. (cf. notes)

La nuit du 7 août

«Le soir du 7 août, pour la 15e fois peut-être, nous recevons le message : «le chargeur n’a que vingt balles. Trois amis viendront voir ce soir que le chargeur n’a que vingt balles». (cf. notes) Ce message, que les EI accueillent avec moins d’enthousiasme que les premières fois, leur annonce une nouvelle nuit de fatigue. Mais conscient que ses garçons sont exténués, Castor tient absolument à ce qu’une partie au moins des hommes dorment : «J’avais donné l’ordre à la section d’Adrien de n’envoyer qu’un seul groupe de mitrailleurs, et je n’avais pris moi-même que deux groupes de la section de RogerTous les autres hommes étaient restés au cantonnement» (cf. notes).

Le parachutage a donc lieu mais le terrain est attaqué par une forte colonne allemande, dotée notamment d’engins blindés. Elle fait main basse sur l’ensemble des containers venant d’être largués. Le cantonnement de Laroque est ensuite à son tour pris sous les feux des Allemands. Castor qui est toujours près du terrain de parachutage, comprend qu’il s’agit d’une attaque totale et envoie Alfred Lazare prévenir Adrien.

Celui-ci, en bon scout qu’il est resté malgré les circonstances, dort sous la tente cette nuit-là. Réveillé très tôt le matin par une grosse déflagration de l’autre côté de la vallée, il ordonne l’évacuation immédiate de Lacado dans un lieu de repli convenu à l’avance. Il a un mauvais pressentiment et craint que Laroque n’ait été attaqué. Mais après avoir patrouillé et constaté que tout était calme il décide le retour du groupe dans son cantonnement. C’est à ce moment-là qu’Alfred Lazare arrive pour le prévenir de l’attaque de Virgule et de Laroque. Adrien ordonne donc une nouvelle évacuation du groupe avec armes et bagages. Dès le début de l’après-midi, Lacado est pilonné par les canons allemands, ceux-ci ne trouvant ni armes ni maquisards mettent le feu à la ferme de la section d’Adrien. (cf. notes).

Après la bataille, et bien que la quasi-totalité des maquisards aient pu se dissimuler, Adrien et ses camarades ont la douleur d’apprendre la disparition de six des leurs dont trois EI : Roger Godschaux, Raphaël Horowitz arrivé la veille, et le lieutenant Gilbert Bloch.

«Malgré le danger des colonnes allemandes circulant dans la région, l’enterrement de nos camarades eut lieu au cimetière de Viane, en présence de toute la population du village.» (Gilbert Bloch y repose toujours)(cf. notes)

Les grandes victoires

Les jours suivant l’attaque allemande furent consacrés au regroupement et à la reprise en main de la Compagnie Marc Haguenau dispersée. Par ailleurs, il fallait pallier le manque de commandement causé par la mort de Gilbert Bloch. Adrien, tout en gardant son grade de sous-lieutenant, prend donc une importance supérieure au sein du maquis EI.

Sa restructuration est précipitée par un événement que l’ensemble de ses combattants attendait depuis longtemps : le débarquement allié en Provence qui a lieu le 15 août 1944. Celui-ci sonne la reprise des actions menées par tout le Corps Franc de la Libération n°10, composé de l’ensemble des maquis de Vabres depuis leur reprise en main en juillet par le commandant Hugues, militaire de carrière, et par son équipe issue de l’École des cadres d’Uriage.

Ainsi quelques jours plus tard, renseignés par les cheminots de Mazamet, Adrien et les autres chefs apprennent qu’une compagnie allemande de D.C.A. (Défense Contre Avion), dotée de cinq canons de 25 à tir rapide, s’est retranchée dans la gare et projette de se rendre à Castres en train pour rejoindre une garnison de 4500 hommes. La décision est prise d’attaquer ce train et après une longue réflexion à propos du lieu d’action, il est fixé à mi-chemin entre les deux villes dans un déblais – seul endroit possible pour le sabotage de la voie opéré par le commando américain évoqué plus haut.

La Compagnie Marc Haguenau se place au sud de la voie avec ses mitrailleuses et la Compagnie Antonin du commandant Hugues au nord. Tout le monde est en position et attend le combat. Une longue attente précède l’arrivée du train. Vers 22 heures, celui-ci s’engage dans le déblais et est rapidement stoppé par l’explosion qui a fait sauter la voie. S’engage alors un combat violent entre les mitrailleuses des maquisards et les canons de 25 des allemands. L’échange de tirs dure ainsi toute la nuit. (cf. notes) «Au petit jour, quelques obus tirés par la compagnie Antonin ont raison de la volonté adverse». (cf. notes) Roger CAHEN crie alors à ses hommes de cesser le feu (cf. notes).

En effet «le commandant allemand, enveloppé d’un drap blanc, est là, au garde à vous devant le commandant HUGUES» en signe de reddition. (cf. notes)

«Les prisonniers (environ une soixantaine) furent rassemblés et un de nos camarades effectua autour de ces allemands verts de peur une sorte de danse du scalp en s’écriant «Ich bin Jude» (« Je suis Juif »). Ce fut là notre seule vengeance» (cf. notes)

Adrien pense à présent que le Corps Franc va devoir se diriger vers Castres pour obtenir par les armes la libération de la ville. «Mais dans la nuit [ont] lieu des tractations entre notre commandement et les officiers allemands. Et ainsi, sans coup férir, deux cents maquisards, plus le commando de quinze Américains [obtiennent] la reddition d’une garnison ennemie, forte de 4500 hommes» (cf. notes).

Le 21 août 1944, Adrien – à la tête de la Compagnie Marc Haguenau – entre triomphalement dans Castres, enfin libérée de l’occupation allemande, au milieu d’une foule en délire. (cf. notes)

La guerre continue

La libération de Castres met un terme de façon glorieuse à la vie de la Compagnie Marc Haguenau. Mais la guerre n’est pas finie, la France n’est pas entièrement libérée et les nazis pas encore vaincus. Les EI le savent et lorsqu’en septembre est formé un régiment de cavalerie sous le commandement de Dunoyer de Segonzac, un certain nombre d’anciens de la Compagnie Marc Haguenau décident de s’y engager.

Adrien en fait partie et part avec elle pour libérer les régions de France encore sous domination allemande. Ainsi : «Ce régiment, après un passage par le Centre, rejoignit la 1re Armée française à Dijon. Dès la fin septembre, notre unité fut engagée d’abord près de Belfort, puis dans les Vosges autour de Gérardmer». (cf. notes)

Les combats autour du col de la Schlucht, un endroit stratégique qui permet de dominer une partie de la chaîne de montagne, sont très durs en raison des conditions climatiques déplorables mais aussi de la résistance d’un ennemi encore fort coriace. Au cours de ces opérations, Adrien a la douleur de perdre deux excellents camarades Albert Lifschitz et Simon Weill. (cf. notes)

Durant les mois suivants, le printemps revenu, l’unité d’Adrien monte la garde au bord du Rhin qu’elle franchit fin avril avant de se fixer sur les rives du lac de Constance, après encore quelques escarmouches. Adrien maîtrise parfaitement la langue allemande et se voit alors confier un rôle au contact de la population civile. Il doit réorganiser les habitations et cantonnements, et procéder au remplacement des maires nazis encore en poste. (cf. notes)

C’est donc à Constance qu’Adrien fête le 8 mai 1945 la victoire définitive des Alliés sur l’Allemagne nazie. Ce jour-là, le commandant DUNOYER de SEGONZAC (promu colonel) réunit Adrien et tous les officiers du régiment. Ensemble, ils hissent au sommet d’un ancien château d’eau les couleurs françaises en signe de triomphe. Adrien demeure en occupation en Allemagne encore plusieurs mois. Ce n’est en effet qu’après sa démobilisation en décembre 1945 qu’il peut enfin rentrer chez lui à Mulhouse.

Après la guerre, Adrien n’a pas la volonté de quitter définitivement le mouvement et l’idéal EI. Malgré ses 29 ans et sa volonté de fonder une famille, il décide d’y rester actif. Ainsi en 1949, Simon Levitte crée des maisons pour préparer des jeunes Juifs français à l’Alya. Il demande à Adrien de s’occuper de leur apprentissage agricole. Celui-ci qui n’a rien perdu de son idéal sioniste accepte aussitôt.

La propriété dont il s’occupe se trouve à Roquefort-la-Bedoule à environ trente kilomètres de Marseille. Il y reste six ans puis, suite au décès de Simon Levitte et à l’échec relatif du projet, mais aussi par désir de faire autre chose, il décide de quitter cette fonction et d’entrer dans l’administration agricole. Il y travaille jusqu’à sa retraite.

Adrien n’a voulu tiré aucun bénéfice de son action de résistant. Celle-ci a simplement été pour lui la suite logique de son attachement à la France mais aussi de sa vie scoute : s’engager pour une cause, obéir et surtout prendre des initiatives, trois des fondements essentiels du scoutisme.

 

 

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