Le « final » interrompu

« Si les problèmes matériels se règlent assez aisément, écrit Denise Gamzon, Castor n’en subit pas moins une crise morale profonde : il n’a pas pu atteindre le but qu’il s’était proposé en venant en Israël : créer un kibboutz émanant des E.I., faire de ce kibboutz un centre spirituel pour les E.I. et la jeunesse venant de France et d’Afrique du Nord.»

Tout ce plan magnifique, qui supposait une entente harmonieuse à l’intérieur du Garhine, a échoué. Après treize ans de vie comme dirigeant de la jeunesse, treize ans d’activités non pas faciles, non dénuées de lutte, mais qui allaient toutes dans le même sens, il est dur de se retrouver seul avec sa famille et de voir s’écrouler une bonne partie de son idéal.

« Il est pénible de tourner la page, de redevenir tout simplement un ingénieur. Il faut maintenant se remettre au courant de la technique moderne. Castor se plonge dans les études scientifiques et techniques, et, en quelques mois, met à jour ses connaissances oubliées ou devenues désuètes.»

Assez rapidement il trouve une place d’ingénieur dans la nouvelle usine de radio AMRON. Un ami de France lui prête de l’argent pour louer, avec reprise, un petit appartement à Herzlia. Sa femme devient professeur de français dans un lycée de Tel Aviv.

Ainsi Castor est redevenu l’ingénieur Robert Gamzon. Chose remarquable entre toutes : sa recherche d’harmonie, de perfection, de qualité qui l’a accompagné toute sa vie, il la retrouve dans sa profession. Comme nous l’avons vu, ne s’était-il pas déjà préoccupé de mettre au point les haut-parleurs pour qu’ils rendent tous les composants du son de la façon la plus parfaite ?

Bientôt son esprit inventif, qui lui avait permis de créer les fermes-écoles, le Service Social des Jeunes, l’école d’Orsay, se reporte sur la technique de radio. Promu ingénieur en chef d’Amron, il met au point un condensateur variable en matière plastique moulée. La direction d’Amron et lui-même fondent de grands espoirs sur ce nouveau modèle, mais sa vente sur le marché mondial ne peut se faire aussi facilement qu’on l’avait espéré.

Pendant les cinq ans qu’il travaille à Amron, la famille habite Herzliya, et Castor a enfin le temps de s’occuper de ses deux jeunes enfants qui sont ainsi plus favorisés que les deux aînés…

En 1958, il entre au Département d’Electronique de l’Institut Weizman, dirigé par le Dr Frey. Avec la collaboration de son chef, il envisage de créer un nouveau type de haut-parleur fondé sur l’emploi des ferrites magnétiques (céramique ferreuse possédant d’excellentes qualités magnétiques).

Il s’agit pour lui de mettre définitivement au point ce haut-parleur isodynamique qui a la qualité de reproduire avec une fidélité infaillible toute la gamme des vibrations audibles. Castor travaillera à le perfectionner pendant les trois ans qu’il est resté à l’Institut.

Au bout d’un an de recherches, plusieurs modèles sont réalisés : un accord est conclu avec la Société Emerson de New York et la C.S.F. française, qui subventionnent les études nécessaires pour passer du prototype de laboratoire au modèle industriel. Ce sont des années de travail intense, d’activité créatrice et d’immenses satisfactions.

Castor obtient aussi de l’Institut que l’on bâtisse une chambre sourde (anechoic room), c’est-à-dire une salle entièrement assourdie par les absorbants acoustiques : il peut y mesurer avec précision les qualités des microphones fondés sur le même principe isodynamique.

Ce travail exige des contacts avec l’étranger. Aussi Castor se rend-il chaque année en Europe et une fois aux U.S.A.

Aux dires de tous les spécialistes de l’électro-acoustique, son récent haut-parleur est une solution inédite et absolument originale du problème de la haute fidélité musicale. Une nouvelle technique venait ainsi d’être trouvée pour traduire des oscillations électriques en ondes acoustiques.

Ce haut-parleur « isophase » a ouvert à Gamzon non seulement les colonnes des journaux Israéliens, mais encore celles de la presse professionnelle internationale. Les grandes marques s’intéressent vivement à ce brevet. Dans son laboratoire de l’Institut Weizman, à Réhovoth. c’est un défilé d’hôtes de marque à qui on fait voir et entendre la nouvelle invention.

« Nous le connaissions, écrit une des premières cheftaines E.I., sous bien des aspects et l’avions vu porter des tenues diverses : à Paris, celle de chef scout, avec l’aigrette de Commissaire National E.I. et plus tard, celle d’officier de l’armée française avec les galons reluisants, puis à Lautrec celle de maquisard, en Palestine, nous le vîmes d’abord en touriste avec des chaussettes blanches puis, en Israël, portant les vêtements de travail du « halouts ».

Aujourd’hui il nous apparaît sous son dernier aspect : en blouse blanche de chercheur dans son laboratoire qui domine les jardins de l’Institut Weizman et les orangeraies qui l’entourent ».

« Professionnellement, confiait Gamzon à un ami, je suis en train d’arriver ; et cela dans le Pays ! Au point de vue technique, je suis assez satisfait. Si ça continue, je vais gagner de l’argent… C’est bien la dernière chose à laquelle je m’attendais ! »

Par ailleurs, comme il n’a nullement oublié la France, celle-ci ne l’oublie pas non plus. Afin de manifester son estime et sa reconnaissance à Robert Gamzon, « symbole vivant d’une parfaite symbiose et d’un équilibre harmonieux, trait d’union entre les deux pays auxquels il porte tant d’affection », l’Ambassadeur de France demande pour lui une promotion dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. De chevalier, il passerait officier.

C’est la réussite sur toute la ligne, l’aboutissement heureux d’une vie remplie où se retrouve de façon éclatante « l’unité dans la diversité ».

Devenu célèbre en électro-acoustique, grande vedette des journaux nationaux, Gamzon n’en demeure pas moins « Castor soucieux ». En plein travail professionnel, il sonne le rappel de tous les anciens E.I.F. établis en Israël, tout en maintenant le contact avec la jeunesse juive de son pays natal. Il s’agit d’aider dans toute la mesure du possible ceux qui arrivent de France, en particulier les anciens du Mouvement et les Juifs d’Afrique du Nord dont les E.I. connaissent mieux que d’autres les habitudes et la mentalité.

Le « Comité de liaison des anciens E.I. de France et d’Afrique du Nord » s’occupant de ce travail, se réunit périodiquement chez Castor qui, de plus, est membre fondateur de l’Union des Juifs de France, et en devient le vice-président.

A Herzlia, à certains moments, nombreux sont les visiteurs qui ont besoin de conseils et que Castor aide à trouver du travail, oriente dans le choix de leurs études, ou tout simplement réconforte par son accueil direct et réchauffant.

Au cours de l’été 1961, il réunit un camp-séminaire E.I. en Israël. Une centaine de scouts établis dans le pays s’y retrouvent avec une centaine d’autres venus de France. Castor, rayonnant de joie, plus en forme que jamais, leur parle, les exhorte, comme il le faisait autrefois, comme il l’a fait en tout temps !

Le finale couronnant cette symphonie, grandiose par sa chaleur humaine et par son déroulement si logique, si limpide, qu’était la vie de Gamzon, venait de commencer et promettait encore d’heureux développements, lorsque soudain il fut interrompu – à la grande consternation de tous ceux qui ont aimé l’homme, le chef, le confident, l’ami.

Accident stupide, incroyable : Un vendredi ensoleillé de Septembre, Gamzon s’en va sur la plage pour prendre un bain, peu avant la venue du Chabbat. Il est accompagné de sa femme et de quelques amis ; il semble en excellente condition physique. Prestement il se jette à l’eau. Une vague le submerge, suivie par d’autres. Du rivage quelqu’un l’a vu qui se débattait. L’alarme est donnée. Quand enfin on retire le corps, il est trop tard.

Robert Gamzon – Castor soucieux – n’est plus !

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