L’arme secrète d’une victoire

« Celui qui est sûr, absolument sûr, d’avoir produit l’oeuvre viable et durable, celui-là n’a plus que faire de l’éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu’il est créateur, parce qu’il le sait, et parce que la joie qu’il en éprouve est une joie divine. »

Ces paroles d’un grand moraliste s’appliquent parfaitement à Robert Gamzon. Les témoignages de ses contemporains le prouvent surabondamment. Il suffit d’évoquer le souvenir de Castor devant quiconque l’a connu de près ou de loin, pour voir aussitôt son visage s’éclairer.

On s’accorde volontiers aujourd’hui à le considérer comme la figure la plus populaire, la plus originale du judaïsme français au cours de ce dernier demi-siècle. Véritable synthèse humaine et juive, c’était un homme qui ignorait les complexes, la peur, la vanité et la démagogie, et son ascendant sur les jeunes ne s’exprimait pas en contrainte, mais en aide fraternelle.

Ce semeur d’idées ne demeurait pas dans l’abstraction. C’était une intelligence éminemment pragmatique qui remontait « de l’acte à la pensée pour la ramener à l’action ». Il ne lui répugnait nullement de glaner des idées ça et là, pourvu qu’elles fussent positives.

Puis il les véhiculait à son tour, les concrétisant, leur donnant vie, force et mouvement au point que ce sont ses maîtres et enseignants qui devenaient ses porte-parole et non le contraire. Selon la formule de son adjoint le plus proche, « Gamzon a trouvé le moyen de réaliser ses utopies et de s’entourer de gens qui ont su l’y aider ».

Ses projets, considérés souvent comme « farfelus », finissaient par prendre corps et, aujourd’hui, tout le monde s’en enorgueillit.

Le grand mérite de cet « utopiste », c’est d’avoir été pleinement de son temps ; il l’était même plus que quiconque puisqu’on le trouvait à la pointe de la technique la plus moderne. En vérité, il était de tous les temps car, sa vie durant, il tâchait de combler le monstrueux hiatus créé entre les progrès scientifiques et la condition humaine. En cela, il demeure un exemple pour les générations à venir.

Gamzon était exactement à l’opposé de ces « supermen » proposés à l’admiration béate des foules. Rien, apparemment, ne le prédestinait à une carrière percutante. Pionnier, conducteur d’hommes, il tâtonnait et trébuchait comme tout un chacun. Il lui arrivait de se tromper lourdement, de s’enthousiasmer en même temps pour une grande chose et pour une futilité, mais il savait s’humilier, se ressaisir, se relever d’une chute et reprendre courageusement sa tâche au service de la jeunesse, du judaïsme, de l’humanité.

Résistant, Gamzon l’a été dans toute l’acception du terme, tant par son courage que par sa prévoyance et son efficacité. Et il ne fut pas un résistant de la onzième heure, volant au secours de la victoire dans l’espoir d’en tirer quelque profit, car il n’avait jamais en vue son propre salut, ni uniquement le sauvetage physique.

Longtemps avant que l’appellation « Résistance » devînt courante, Gamzon se préoccupait de « ceindre les reins » de ceux qui allaient devoir affronter le malheur. Certes, ce n’est pas dans la lutte armée qu’il mettait tout son espoir, bien au contraire. Son souci constant était de fortifier l’esprit et d’enseigner sa primauté à ceux dont il avait la charge.

Cependant quand vint le moment de se battre, il se jeta dans la mêlée non en suiveur, mais en guide, en entraîneur, sans glorifier la Résistance ni s’en faire une gloire. L’orage passé, il sut déposer les armes avec soulagement, pour reprendre l’édification d’un monde meilleur où les hommes et les peuples n’auront plus à résister contre d’autres peuples et d’autres hommes.

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Et qui dira jamais les tortures quotidiennes que peut s’infliger un homme, un éducateur, se sentant responsable de son groupe, au triple point de vue physique, intellectuel et moral !

Ce groupe, en l’espèce le Mouvement des Eclaireurs Israélites de France, est aujourd’hui plus vivant que jamais. Il s’inspire en permanence de la ligne tracée par Robert Gamzon.

Voici ces E.I.F. en conversation au cours d’une récente manifestation appelée « Chabbat Castor ». Trois générations de chefs s’y trouvent réunies pour rendre hommage au fondateur du Mouvement. « Si, s’accordent-ils, on veut raconter à un jeune louveteau peu soucieux d’histoire ancienne, la vie et l’apport de Castor, sans doute peut-on énoncer trois choses : les E.l.F., la Résistance et Israël. Ce sont ces trois pôles d’intérêt qui, pour les jeunes d’aujourd’hui, semblent primordiaux. Mais il y en a tant d’autres ! »

Ces mêmes chefs se souviennent d’un rallye scout organisé dans la région parisienne peu avant la mort de leur grand aîné : « Le samedi soir, autour d’un feu de camp, Castor raconte d’une voix un peu usée et grave; il fait revivre l’aventure. Mais comment la conter, cette aventure ? Peut-être n’est-elle jamais terminée, ainsi qu’en témoigne la vie même de Castor ? »

Une vie, une légende. Robert Gamzon était un de ces privilégiés dont l’Histoire retient les faits et les gestes pour les transmettre, car ils constituent un réconfort et un sujet de fierté.

Portant témoignage, voici un couple d’anciens E.I.F., ceux des temps héroïques, socialement et professionnellement expérimentés, connaissant depuis longtemps les soucis et les joies des parents et même des grands-parents. En fouillant dans leurs souvenirs, ils finissent par proclamer d’une seule voix : ce que nous sommes, c’est à Castor que nous le devons. Nous lui devons tout ».

Rappelant l’hommage solennel rendu au fondateur du mouvement E.I.F. dans la plus vaste synagogue de Paris, le Grand Rabbin de France écrit : « Partout où se portait le regard, Robert Gamzon était là, dans chacun de ses Éclaireurs dont il a été l’initiateur, dont il n’avait cessé d’être l’animateur, dont il continuait d’être le père spirituel.»

Une autre autorité religieuse confirme cette constatation par le Midrache (commentaire talmudique) suivant :

« Moïse ayant accepté de mourir, entendit le Saint Béni soit-il, lui dire ces paroles apaisantes : « Puisque dans ce monde, tu as conduit mes enfants, eh bien, dans le monde à venir, c’est encore par ton entremise que je guiderai tes enfants.»

Les éclaireurs, ses frères, « ses enfants », ont cherché à prolonger sa vie, et cela « à la façon juive », non en érigeant une froide statue qu’on admire en passant, mais en édifiant des institutions où l’esprit qui animait Castor demeurât vivant.

A Jérusalem on bâtit une Maison de France, « oeuvre d’amitié et d’espoir », au sein de la Cité Universitaire. Elle sera dédiée à la mémoire de deux grandes figures juives, également chères aux Juifs d’origine et de culture françaises.

Le centre culturel portera le nom d’Edmond Fleg et le Foyer des Jeunes celui de Robert Gamzon. Ainsi ces deux amis de toujours qui, leur vie durant, ont oeuvré ensemble pour la même cause, se retrouveront unis dans les hauts lieux de la Terre Promise, comme « les Symboles les plus purs des Juifs de l’Exil » pour qui la pérennité d’Israël constituait le facteur prédominant.

Cette Maison de France est appelée à devenir un point de rencontre pour des jeunes venant d’horizons et de pays différents; elle apportera l’instruction, la connaissance, la culture aux jeunes générations ; elle sera le lieu de prédilection pour un échange d’idées et permettra de tisser des amitiés. Elle constituera une synthèse de la pensée de Fleg et de Gamzon.

Enfin, la Forêt Gamzon, plantée sur les hauteurs dominant la vallée de Beit-Chean, est évocatrice à plus d’un titre.

« C’est dans cette vallée, au climat si dur, que Castor a fait ses premiers pas de pionnier en tant que membre d’un Kibboutz. C’est là qu’il est devenu Israélien.» La forêt elle-même rappellera l’affection que le chef scout idéal portait à la nature.

Il l’a fait aimer à tant de jeunes par l’allégresse avec laquelle il s’y mouvait et s’y adaptait, parfois au prix d’efforts apparemment surhumains. Cette forêt appelée à veiller sur Beit-Chean, exhume en outre un lointain et dramatique passé. Elle doit couvrir en effet les flancs du Mont Guilboa. Or, c’est là que le roi Saul et son fils Jonathan sont morts au combat. Avec quelle émotion le jeune David les a pleurés !

L’élite d’Israël a succombé sur tes collines !

…Ils étaient plus légers que les aigles,

Ils étaient plus forts que les lions.

…Je suis dans la douleur à cause de toi,

Jonathan, mon frère !

L’inaltérable amitié qui liait David à Jonathan a fait jurer au futur monarque hébreu, que jamais plus un arbre ne poussera en ce lieu. Le Mont Guilboa devra éternellement demeurer dénudé en souvenir de l’antique tragédie.

Mais voici qu’un autre acte de fidélité fraternelle, d’attachement fervent, est venu annihiler ce vu, à la faveur de la renaissance nationale. Nul doute que David eût aimé ce geste réparateur. L’amitié a suscité l’anathème, l’amitié encore a suggéré la bénédiction.

L’élan de gratitude pour la mémoire de Robert Gamzon fait écho à l’affection que le fondateur du Mouvement E.I.F. a gardée pour ses jeunes jusqu’à la fin. Ce sont eux qui, en plein carnage hitlérien, lui ont inspiré une appréciation où il se livrait tout entier :

« Quand je pense à eux, à eux tous et à elles toutes, à tous ces jeunes Juifs capables de travailler comme des brutes, de penser comme des philosophes ou des poètes, et de mourir comme des héros, je sens monter en moi une grande vague d’amour.

O je t’aime, jeunesse de mon peuple, ardente, indisciplinée, ambitieuse, critique, mais pleine de sève, pleine de vie, éternellement vibrante et enthousiaste, toujours renaissante, toujours vivante, malgré les pires persécutions et les pires déceptions ! »

De tels accents sont le propre de ceux qui se complaisent à une vie active, toute vouée au bien et à l’élévation de leurs frères. Le Psalmiste, déjà, les appelait : ‘Hassidim.

Robert Gamzon fut un ‘Hassid de cette classe. Il a lutté et vaincu parce qu’il a aimé d’un amour total Dieu et les hommes.

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