Raymond Winter

Raymond Winter et Marcel Gradwohl, une mission inachevée

raymond_winterRaymond Winter,
un engagement de tous les instants

LES ANNÉES HEUREUSES
Une enfance dans la petite bourgeoisie juive de Strasbourg

Raymond WINTER naît le 19 février 1923 à Strasbourg dans une famille de la petite bourgeoisie juive. Alsacienne depuis plusieurs générations la famille Winter est, comme beaucoup d’israélites français, très attachée à la France à qui elle doit son émancipation depuis 1791.

Dans un souci d’intégration, voire même d’assimilation, et en raison d’une jeunesse passée à Paris parmi la population non juive, les parents de Raymond ont perdu une partie de leur religiosité ; tout en restant assez traditionalistes (ils respectent les principales fêtes religieuses). C’est d’ailleurs le cas pour beaucoup de juifs français de souche qui, en France, résident en majorité à Paris, dans le Sud-Ouest et en Alsace.

Cette assimilation presque totale de la famille Winter – ainsi que l’absence d’école juive à Strasbourg – entraîne Raymond à effectuer sa scolarité dans une école primaire laïque, comme c’est le cas pour la majorité des jeunes Juifs strasbourgeois. Néanmoins ses parents veulent tout de même lui donner une éducation juive et c’est à cette fin qu’ils l’inscrivent aux cours d’un Talmud Torah de Strasbourg. Ceux-ci sont, pour Raymond, un premier contact avec la communauté juive française. Par la suite, il suit aussi des cours d’instruction religieuse dans le cadre du lycée d’Etat ; car contrairement à l’ensemble de la France et en raison de son appartenance à l’Allemagne de 1871 à 1919, l’Alsace est encore sous le régime concordataire (hérité de Napoléon Bonaparte) et n’a pas adopté l’école laïque décidée par Jules Ferry.

Mais il ne montre pas une réelle volonté de faire de longues études et aide, au contraire, de plus en plus son père, fatigué par un travail harassant, dans son commerce. En effet, alors que la mère de Raymond est sans profession et élève son fils et sa fille – Colette - ; son père pratique le commerce de textile en gros. Celui-ci se portant plutôt bien, la famille est à l’abri du besoin jusqu’à la guerre.

Un EI responsable et brillant

Afin d’insister sur le rôle important du scoutisme dans la formation de Raymond, nous avons décidé de dissocier son engagement scout de son parcours scolaire.

Raymond entre aux EI en 1936 alors qu’il a 13 ans et qu’il connaît le scoutisme depuis quelques années puisqu’il l’a découvert au sein des Éclaireurs de France. Pourquoi n’a-t-il pas débuté sa carrière scoute immédiatement dans le cadre du mouvement juif ? Celui-ci existe pourtant bel et bien dans la capitale alsacienne puisque c’est en 1929 que Raymond Mai (Baloo) crée le troisième groupe local EI en France métropolitaine.

On pourrait imaginer que ses parents, assimilés, ne voient pas l’intérêt de l’inscrire dans un mouvement spécifiquement juif. Or ceux-ci, opérant un certain retour à la vie communautaire, tiennent à ce que leur fils appartiennent à ce mouvement. En fait, c’est uniquement à cause d’un manque de place que les EI de Strasbourg ne peuvent pas accueillir Raymond dans un premier temps. (cf. notes)

En 1936, donc, il devient enfin Éclaireur israélite de France puis routier dès 1938. C’est à partir de cette période qu’il commence à prendre des responsabilités de plus en plus importantes. Ainsi grâce à «[son] goût et [son] sens inné des initiatives et des responsabilités», il accède au rang de responsable adjoint du clan des routiers de STRASBOURG. Sa nomination rapide à des postes à responsabilités – même si elles ne sont pour le moment que locales – est exceptionnelle compte tenu de son jeune âge - il n’a que 15 ans – et de sa relative inexpérience du scoutisme – il n’a par exemple jamais été Louveteau.

Tout ceci préfigure, nous le verrons, un engagement toujours plus important au sein du mouvement ; ceci étant pour Double-mètre (surnom donné à Raymond par ses camarades EI en raison de sa très grande taille) la suite logique de sa vie d’EI. En effet, il «considérait (…) le scoutisme (…) comme la définition d’un certain nombre de buts à atteindre.» (cf. notes)

En 1939, Raymond a donc 16 ans et ne se doutent pas que sa vie, d’EI notamment, va se trouver complètement bouleversée par la déclaration de guerre. En effet en septembre, suite à la déclaration de guerre, la famille Winter doit faire face à un douloureux mais inéluctable exode.

Malgré la déstabilisation qui le frappe dans sa jeunesse, Raymond, à peine réinstallé en Zone Libre, reprend ses activités au sein du mouvement éclaireur.

LA RÉORGANISATION A MONTPELLIER
Les « déménagements » successifs de Raymond

La guerre contre l’Allemagne nazie est déclarée le 3 septembre 1939. L’Etat Major français ayant une grande confiance en la Ligne Maginot, pensait qu’elle suffirait à défendre la frontière française qu’elle couvrait contre les attaques allemandes. Mais Strasbourg, n’étant pas abritée par cette ligne de défense, doit être évacuée dès les premiers jours de septembre 1939.

C’est à cause de cette évacuation que la famille Winter se voit contrainte, au même titre que tous les habitants de la capitale alsacienne, de quitter sa maison pour se reloger ailleurs. Le patriotisme et la grande confiance en l’armée française de Camille Winter, le père de Raymond, l’entraînent à penser que la situation n’est que provisoire. En effet, persuadé qu’une victoire rapide de la France viendra mettre fin au conflit qui vient de s’engager – et qui n’a pas encore atteint le sol français -, il décide d’installer sa famille dans les Vosges ; à Plombières. La famille Winter connait bien cette petite ville où elle avait l’habitude de passer ses vacances ; cela lui permet de ne pas être trop dépaysée dans le petit appartement qu’elle loue pour – pense-t’elle – attendre la fin de la guerre.

Mais très vite, elle a le sentiment que la situation peut s’éterniser et même se durcir. Le chef de famille décide donc à nouveau de partir plus au sud pour éviter tout contact avec la frontière allemande. En quête d’une ville plus importante que Plombières pour pouvoir reprendre ses activités commerciales, Camille Winter décide que la famille va s’établir à Dijon. En effet, la capitale bourguignonne remplit à ses yeux les conditions nécessaires pour leur installation : possibilité de commercer, pour lui, et de suivre une scolarité normale, pour ses enfants. Raymond, cependant, décide à 16 ans et demi de ne pas retourner en classe et d’aider encore un peu plus son père, de plus en plus fatigué par son travail. Conscient de l’importance des études, il suit néanmoins des cours par correspondance.

A Dijon, il n’existe pas de troupe EI, Raymond ne peut donc pas reprendre ses activités scoutes qui lui manquent beaucoup. Mais très occupé par le commerce de son père, il n’a que peu de temps pour en être profondément frustré. De plus, avec l’invasion allemande en mai 1940, les événements s’accélèrent. Ne se sentant plus en sécurité à Dijon et malgré la foi, toujours aussi intacte, du père de Raymond en l’armée française, les Winter choisissent à nouveau de partir. Ce qu’ils font dans la précipitation un samedi – jour de Chabbat. Le lendemain les Allemands arrivent à Dijon. La chance qu’ils ont à ce moment les amène à penser que «Dieu ne [leur] en avait pas trop voulu» de leur transgression de Chabbat et qu’ils étaient en quelque sorte «protégés».(cf. notes)

En raison de la partition de la France, les Winter se réfugièrent dans le Sud – en Zone Libre – car ils ne pouvaient rester dans la zone sous administration allemande en raison du sort réservé aux juifs. En juillet 1940, ils s’établirent donc à Montpellier. Cette ville les satisfaisait à bien des égards : sa grande taille permettait un commerce intéressant, la présence de lycées et d’universités offrait la possibilité d’une scolarisation mais surtout beaucoup de Juifs y étaient déjà installés ce qui leur évitait un isolement religieux.

La troupe RACHI

A peine arrivé à Montpellier depuis deux mois, Raymond reçoit des courriers du District EI de STRASBOURG qui l’incite à mettre une troupe en place. Ce qu’il entreprit avec passion et dévouement puisqu’il aurait sans doute «pris cette initiative même si les circulaires et les lettres du District de STRASBOURG ne le lui avaient pas recommandé». De plus voyant le rabbin SCHILLI - arrivé d’Alsace après la Débâcle de juin 1940 – débordé par le travail communautaire, il décide spontanément de se charger de tout ce qui touche aux jeunes de sa ville d’accueil. Ainsi, en accord et en parallèle avec lui, il applique les méthodes d’éducation qu’il a lui-même rencontrées et apprises aux EI.

Raymond devient très vite «à la fois chef de troupe, commissaire de groupe local et secrétaire de district». Sous son autorité, les activités communautaires (cours du rabbin SCHILLI, jeux de société) d’une part et EI (veillée chants, discussions) d’autre part se multiplient. Elles participent à l’éducation juive des enfants, comme le préconise l’éducation EI, et soulagent de la charge de leurs enfants, des parents souvent déboussolés et même traumatisés par les événements qu’ils ont vécus. (cf. notes)

Le travail, «étonnant d’envergure pour un jeune homme de 19 ans», et la dépense d’énergie de Raymond suscite de la part de ses aînés et de ses camarades une très grande admiration (cf. notes). En effet, en plus de la troupe de MONTPELLIER, Raymond s’occupe du clan des Routiers de Lyon où il se rend à plusieurs reprises entre 1941 et 1942 pour suivre des études de tissage. Le soutien et les encouragements de ses parents «dont la maison était ouverte à toutes les détresses de l’époque» l’aide sans aucun doute grandement à trouver cette énergie, notamment dans les moments difficiles.

C’est ainsi que sous couvert des EI et de la troupe RACHI, dans un premier temps, Raymond entreprend une multitude d’actions qui le mène peu à peu à la clandestinité.

Les activités EI : une antichambre de la Résistance

Les mesures prises contre les Juifs par le gouvernement de Vichy viennent ébranler le travail d’éducateur de Raymond. En effet, il se rend vite compte que cela ne suffit plus et qu’il faut dorénavant sauver les enfants, et leurs parents, traqués par la police française. Ainsi, avant même la création de la Sixième, Raymond «décèle une filière pour munir de faux papiers des personnes particulièrement visées par les décrets de Pétain». C’est le cas notamment des Juifs étrangers.

Par ailleurs, Raymond est en contact permanent avec l’O.S.E. Cette Organisation de secours à l’enfance dont le siège social français s’est fixé à Montpellier après la partition de la France, vient en aide et s’occupe d’enfants juifs réfugiés avec ou sans leurs parents. C’est Marthe Lévy qui symbolise le mieux les liens de l’O.S.E. et des EI de Montpellier ; en effet elle n’est pas seulement assistante sociale de cette organisation mais aussi cheftaine et fondatrice des EI de Metz.

Le travail commun de l’O.S.E. et de Raymond se concrétise pendant l’été 1941, Raymond ayant accepté de prendre la direction de deux colonies de vacances de l’O.S.E. «à condition qu’il puisse organiser un camp EI entre les deux» (cf. notes). Il décide de diriger ces colonies pour le bien des enfants, les organise à sa manière : c’est à dire assez scout. Cela lui permet d’enchaîner les colonies O.S.E. et le camp EI sur le même plan pédagogique. Pendant ce camp EI, qui se déroule à Fillols (Pyrénées Orientales), Marcel, le cousin de Raymond – dont nous reparlerons ultérieurement -, montre toute sa détermination et sa volonté de le seconder le mieux possible; Raymond ne pouvant pas assumer seul la responsabilité d’une telle entreprise.

Ainsi, il confesse, lui-même, à Chameau dans une lettre qu’il lui adresse le 21 septembre 1941 que malgré sa force physique et ses excellentes qualités d’organisation, «[il est] assez claqué, mais content, car 125 gosses ont profité chacun de 15 à 21 jours de grand air. Il y avait : une semaine de préparation, trois semaines 40 gosses O.S.E., deux semaines 40 gosses E.I.F., trois semaines 46 gosses O.S.E.».

Mais l’organisation de colonies et de camps pour les enfants ne constitue plus la seule activité de Raymond. En effet, avec le Rabbin Schilli qui en est l’aumônier, il se rend dans des camps d’internement de Juifs. Dans leur zone d’action, on peut en trouver un certain nombre notamment Rivesaltes (Pyrénées Orientales). Dans ces camps sont entassés, sans soin et dans des conditions d’hygiène déplorables, les Juifs visés par la Loi sur les ressortissants étrangers de race juive promulguée par le gouvernement de Vichy le 4 octobre 1940 – et qui, selon l’Article 1, peuvent être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidenc(cf. notes) - et plus précisément les Juifs allemands ayant fui leur pays depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Ces derniers sont menacés d’être renvoyés en Allemagne – et donc à la mort – car l’État Français refuse de garder sur son territoire des opposants à l’autorité d’occupation.

Henri Schilli et Raymond Winter réussissent à faire entrer clandestinement dans les camps des vivres et des lettres que les proches des internés veulent leur faire parvenir. Raymond, troublé par les scènes terribles auxquelles il assiste, décide d’en faire encore plus. Ainsi lorsque quelques jeunes juifs parviennent à s’évader, il leur fournit des fausses cartes d’identité et d’alimentation. De plus, grâce à ses relations, il parvient à les faire héberger et cacher dans une colonie de vacances au Grau-du-Roi (Hérault), à 28 kilomètres de Montpellier.

Ces actions plus ou moins isolées se prolongent pendant quelques temps, mais très vite la situation évolue de façon importante. Raymond Winter (connu dorénavant sous le totem de «Girafe énergique», en raison de sa grande taille et de son infatigable action) bascule en effet, en même temps que le mouvement EI, dans la clandestinité au sein de la Sixième. (cf. notes)

A partir ce moment, Raymond est efficacement secondé par un adjoint auquel il est lié depuis son plus jeune âge puisqu’il s’agit de son cousin Marcel Gradwohl.

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