[…] Malgré les transformations positives du Mouvement depuis plusieurs années, dont les résultats sont sensibles sur le terrain, un malaise se fait jour peu à peu dans les rapports entre Lynclair et une partie des chefs, y compris une partie des responsables nationaux. Parmi les contestataires qui s’expriment à haute voix en cette année 1966, et qui n’hésitent pas à entrer en conflit ouvert avec le Commissaire Général, le Commissaire du Groupe Local le plus prestigieux de Paris dans les années soixante, celui de la troupe David-1re Paris, Daniel Robinsohn.
« L’un des problèmes était celui du rapprochement entre le D.E.J.J. et les EI. […] On demandait ainsi aux clans routiers de s’associer aux aînés du D.E.J.J. pour faire du travail dans les quartiers de banlieue ou du Marais. Il s’agissait de « racoler » les jeunes et de faire un travail d’animation. Mais les E.I. ont un rôle d’éducation, pas d’animation. […] Les mentalités étaient différentes entre les deux associations
[…] Le bureau de Lynclair était en principe à Ségur, mais il se trouvait en réalité à Poissonnière. Il y convoquait les réunions, et c’était choquant pour les EI., pour qui le Centre National était à Ségur.» (Témoignage de D. Robinsohn)
Ces problèmes, corroborés par plusieurs témoignages, montrent que la fusion D.E.J.J.-E.I. ne s’est pas faite. Quelles sont les explications possibles à cet échec ? Le caractère relativement élitiste du recrutement des E.I. y est sans aucun doute pour quelque chose. Sauf dans des endroits très spécifiques, le public visé par le mouvement est celui de la petite et moyenne bourgeoisie, tranche sociologique qui correspond sans doute à cet aspect du scoutisme : l’exigence d’engagement. Il y a eu, certes, des expériences différentes, et l’on pensera tout de suite au groupe de la rue des Deux-Ponts, avant la guerre. Mais, et c’est là un deuxième aspect de l’échec du rapprochement D.E.J.J.-E.I., le travail social dans le «platzel» des années trente était une initiative du Mouvement, et non quelque chose d’importé et d’imposé de l’extérieur. De même, les Unités Populaires au Maroc se sont développées à partir des E.I., tandis qu’il semble que dans les années soixante, on assiste à une sorte de rejet d’une greffe d’un élément extérieur.
Ce rejet provient également des différences de méthode : à la méthode de progression qui s’appuie sur l’initiative de l’individu ou du petit groupe (la patrouille) s’oppose l’idée d’animation de type communautaire, basée sur l’idée d’ateliers et de travail sur la masse. Dans une certaine mesure, les méthodes du D.E.J.J., en ce milieu des années soixante, sont sans doute plus modernes que celles des E.I., et nous verrons que quelques années plus tard les E.I. adopteront certaines de ces formules, mais en les traduisant à leur manière. De plus, il est certain que nombre de cadres E.I. ont l’impression de se faire absorber peu à peu par celui qui demeure à leurs yeux, malgré tout, plus comme un mouvement concurrent qu’un partenaire réel. Enfin, l’une des raisons de cet échec en est sans doute l’intégration, pas toujours facile, des séfarades aux E.I. Tandis que le public du D.E.J.J. est presque entièrement composé d’enfants originaires d’Afrique du Nord, les E.I. ne semblent absorber que peu à peu les Juifs rapatriés d’Algérie, et ils restent, en 1966, une place-forte des ashkénazes (voir notre analyse des cotisants, dans la deuxième partie.).
La cassure entre les deux mouvements se produit au moment du Conseil National de septembre 1966 à Verberie (Oise). Elle est rendue possible techniquement par le fait que les E.I. étant en instance de reconnaissance comme établissement d’Utilité Publique par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, une transformation des statuts oblige à tenir une assemblée générale dans laquelle les 18 membres du Comité Directeur seront élus directement par les membres de l’association, c’est-à-dire les chefs du Mouvement. Elle est surtout le résultat d’un véritable complot organisé par quelques jeunes et moins jeunes commissaires et qui a un double but :
- renvoyer les actuels membres du Comité Directeur, considérés comme trop administratifs, et dépassés (rappelons qu’il s’agit d’une équipe qui anime le Mouvement depuis 1955) ;
- faire pression sur Lynclair pour qu’il soit plus présent au Mouvement, à un moment où des choix d’orientations importants doivent être faits.
On prépare donc des listes en sous-main, et, pour la première fois dans l’histoire du Mouvement, un véritable affrontement électoral se produit. Cette irruption d’enjeux de pouvoir et cette « démocratisation » n’est pas appréciée par tous :
«Je crois pouvoir écrire ici, que les élections ne se sont pas déroulées dans un climat favorable, et que pression a été faite auprès de certains chefs pour influencer leur vote.» (Lettre de Jean Lévyne)
«[…] C’est certainement aussi inélégant que la façon dont les listes électorales ont circulé […] Je croyais que dans le Mouvement Scout on était franc-jeu.» (Lettre de Loup (J. Meyer-Moog), 3.10.66, CR14)
Quels sont les résultats concrets de cette «révolution de palais»? Sur les vingt membres du C.D. sortant, seuls sept se représentaient. A priori, les résultats ne sont pas choquants, puisque cinq d’entre eux sont réélus. Mais il s’agit en fait des plus neutres et des plus consensuels, de par leur fonction ou leur image «historique». Mais l’échec des deux candidats qui ne recueillent pas suffisamment de suffrages est symbolique du désir de changement des électeurs. L’un n’est autre que le président du Mouvement et ancien Commissaire Général, Jacques Lévy (Tapir), et le second, l’un des artisans principaux de la reprise en main de 1955, Robert Munnich. Les élections font également d’autres victimes : le Commissaire International, Henri Ourman, par exemple, qui démissionne aussitôt pour protester contre ce qu’il considère comme un manque de confiance. Et puis, la région Sud, la plus fidèle à Lynclair, voit trois des quatre candidats qu’elle présentait battus, seul le populaire Roland Draï (Bélier) recueillant une quasi-unanimité.
La conséquence la plus dramatique est cependant l’annonce de sa démission par Lynclair, qui s’est senti atteint personnellement par ces manoeuvres.
Il n’est pas certain que tous ces résultats avaient été prévus par les « comploteurs ». La situation va rester pendant trois mois relativement confuse, certains suggérant même des démarches auprès de Lynclair ou de Tapir pour les faire revenir. Finalement, Marguerite Klein, veuve du Rabbin Samy Klein, est élue présidente du Comité Directeur, et surtout, le poste de Commissaire Général est proposé à Raphy Bensimon, que Lynclair avait fait venir en été 1965 du Maroc, pour remplacer J.C. Krzémien (Sapajou) comme Secrétaire Général permanent.
La rupture est donc consommée avec Lynclair et le D.E.J.J. ; une concurrence difficile va opposer les deux Mouvements jusqu’au milieu des années 70. Le ton en est donné par une note adressée par Lynclair à Raphy, le 10 janvier 1967, dans laquelle Lynclair, après avoir rappelé «le moment euphorique où nous avions envisagé une répartition de certaines charges entre le Q.G. des E.I. et l’Équipe de Direction du D.E.J.J.» et signifié la fin de cette entente, ajoute :
« Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas ici d’Une abstention ni d’un refus de collaboration, mais d’une suite logique aux événements qui ont précédé.» (C.R.14)
Avec l’arrivée de Raphy Bensimon aux rênes du mouvement, c’est une véritable ère nouvelle qui s’ouvre, au cours de laquelle le mouvement atteint un développement sans précédent en France métropolitaine, tout en engageant des réformes, voire en subissant des changements qui le transformeront profondément.
C’est en fait la première fois qu’un professionnel se trouve à la tête du mouvement, tous les Commissaires Généraux, jusqu’à présent, ayant été des bénévoles. Cet atout d’une présence permanente est renforcé par deux capacités propres à Raphy. La première, c’est une capacité de gestion administrative qui est utilisée aussi bien au niveau interne qu’externe. Dans le mouvement, un bon exemple en est la préparation du Conseil National 1969. Dès juin 1968, la date (25-26 mai) est annoncée à tous les responsables (voir : Bulletin intérieur des cadres, n°9.), et en janvier 1969, chacun reçoit un premier dossier, comprenant notamment les différents rapports de branches. Un véritable record pour un mouvement qui avait tendance, depuis de nombreuses années, à improviser les choses au dernier moment. Vis-à-vis de l’extérieur, l’efficacité se ressent au niveau d’une politique de présence systématique dans les différents organismes, par exemple au Scoutisme Français, comme dans la capacité d’obtenir toutes les subventions possibles et imaginables. C’est ainsi que les très importants travaux d’aménagement du terrain du Mont-Dore se feront sans toucher à un seul franc du budget d’activité.
Deuxième caractéristique du style Raphy: son ascendant sur les personnes qui l’entourent, qui lui permet d’atténuer les oppositions entre courants d’idée qui commencent à se dessiner à cette période dans le Mouvement. Cette qualité de dirigeant se retrouve par exemple dans l’équipe qu’il a réunie autour de lui, multipliant les postes de permanents nationaux grâce aux subventions obtenues, et choisissant des personnalités dont l’action sera particulièrement profonde dans leur domaine.
Citons parmi eux : Daniel Robinsohn, nommé tout d’abord à la Province Ile-de-France, puis à la branche Louveteaux, lona Lévy à la branche éclaireuse, Gilbert Dahan à la branche éclaireur. La branche aînée, qui se transforme en branche perspective, sera dirigée par Alain Barda. Enfin, deux figures complètent cette équipe. Le premier c’est le shaliah (envoyé) de l’agence juive, Itshak Zouzout, venu entre 1960 et 1971 remplir ce poste, resté vacant depuis 1959. Un autre personnage mérite d’être cité. Il s’agit d’un non-Juif, Christian Guesdon, ancien Scout de France, qui assurera l’impression des documents et publications pendant plus de dix ans. Entourée d’un certain nombre de bénévoles, dont Raphy encourage la participation, cette équipe va s’engager dans un travail extrêmement profond de recherches et de réformes pédagogiques, que nous examinerons plus loin.
Raphy réussit également à transformer le Comité Directeur en un véritable Conseil d’Administration, c’est-à-dire en un organisme qui s’occupe de la gestion administrative, sans intervenir, au-delà des grandes lignes, dans les questions éducatives, domaine confié au Commissaire Général. Définition nouvelle du C.D. d’autant plus réussie que l’intention des auteurs du «coup d’état» de 1966 était inverse, souhaitant une plus grande intervention dans les affaires quotidiennes du mouvement. Il est vrai qu’une partie des membres du C.D. font également partie de l’Equipe de Direction, comité consultatif mis en place par Raphy pour assister le travail de l’équipe professionnelle. Cette redéfinition des rôles a peut-être été facilitée par le départ en Israël de plusieurs parmi les jeunes meneurs de la contestation de 1966.
Ce départ de certains cadres est directement lié au lien nouveau qui s’établit entre les Juifs de France et Israël après la guerre des Six Jours : « Dans l’évolution de la judaïcité française, la guerre des Six Jours constitue un tournant majeur.»
Pour les E.I. également, les événements de juin 1967 sont une étape importante, même si les répercussions ne se font sentir que peu à peu. La première réaction, c’est avant tout la mobilisation en faveur d’lsraël, à un moment où la menace planant sur l’Etat juif semble extrêmement sérieuse. Officiellement, le Mouvement s’engage :
«Les événements au Moyen-Orient de Juin dernier et la menace qui pesait sur Israël, ont conduit tous les Mouvements de Jeunesse Juive de France à se regrouper au sein d’un Comité de Coordination en vue d’apporter à Israël le soutien de la Jeunesse Juive de France.
Les E.I.F. ont adhéré à ce Comité dès sa constitution, et ont collaboré à toutes les activités entreprises par ce Comité. Nous avons notamment rédigé pour ce Comité des Bulletins d’Informations périodiques et pris la responsabilité de la rédaction et de l’édition d’une plaquette qui devait servir d’argumentaire à tous les jeunes, et que vous avez reçue.
Nous avons également aidé à l’organisation du service civil pour Israël, et un groupe de chefs et de routiers E.I. fait partie des premiers convois de volontaires.»
De même, au nom de la Fédération des Clubs de Loisirs Léo Lagrange, le secrétaire général, un certain Pierre Mauroy, le futur Premier ministre, tient à faire part des nombreux messages de solidarité avec Israël qu’il a reçus de jeunes de son association : «Tous ces messages ont exprimé la volonté d’aider à défendre le droit d’Israël à l’existence et, demain, de contribuer à reconstruire. Tous ont souhaité que, dans la paix retrouvée, soit recherché un climat de coexistence, puis de coopération à la faveur d’un dialogue direct.»
Deux points au moins sont intéressants à noter, en ce qui concerne ces messages. Tout d’abord, ils montrent, une fois de plus, le soutien presque unanime envers Israël qui caractérise presque tous les secteurs de la population française en 1967. Mais, au-delà, ils indiquent que la double identité (pour ne pas employer le mot double allégeance) des E.I.F. est un phénomène connu et reconnu par leurs pairs. Reconnaissance qui rejoint à travers le temps celle que le Père Riquet admettait dans les années vingt chez ses collègues scouts juifs.
A plus long terme, on peut distinguer d’autres conséquences des événements du Proche-Orient. La première, c’est bien sûr la place centrale qu’occupe désormais ce sujet dans le Mouvement. Cette centralité s’exprime sous plusieurs aspects. Ainsi, dans la publication « Contact », le journal des routiers qui devient peu à peu la publication de prestige destinée aux cadres, les articles et prises de position autour d’Israël se multiplient, rappelant le contenu de Lumière dans les premières années d’après-guerre. Mais le fait le plus surprenant est sans doute la création d’une nouvelle méthode pour la branche moyenne sur le thème «à la découverte d’Israël».
Si l’adoption d’une nouvelle progression à la place de l’ancien Carnet de Brevets s’inscrit dans le cadre des transformations éducatives sur lesquelles nous reviendrons, le choix d’axer cette progression autour du thème de la connaissance d’Israël est directement le prolongement du choc de 1967. Elle est présentée pour la première fois en juin 1968 (c.f. : Bulletin Intérieur des cadres, n°9.), soit un an après les événements :
« À son entrée dans la Compagnie ou la Troupe, l’E. reçoit une carte d’Israël et un ensemble de fiches. Dans chaque région, trois villes seront des étapes nécessaires. Pour avoir le droit de franchir une autre étape, l’E. devra connaître quelques grands points se rapportant à Israél (économie ou géographie) et se perfectionner en hébreu. La carte d’Israël est divisée en trois régions correspondant à 1/3 de la progression individuelle souhaitée.»
Centralité d’Israël, donc, dans l’éducation prodiguée aux jeunes. Mais centralité d’Israël également dans l’engagement demandé aux animateurs. Tandis que les voyages en Israël se multiplient, les E.I. tentent de lancer en 1971, sous la direction de Alain Greilsammer leur propre mouvement de représentation sioniste, intitulé la Jeunesse Sioniste Communautaire (Jesic). Son origine remonte à 1968, lorsque le 27e Congrès Sioniste adopte le Programme de Jérusalem, qui redéfinit les buts du sionisme. L’unité du peuple juif y est affirmée ainsi que la position centrale d’Israël, mais pour la première fois la poursuite de l’existence de la Diaspora en parallèle à l’Etat juif est reconnue comme légitime, véritable révolution pour un mouvement national qui prévoyait la fin de la dispersion juive comme condition de l’établissement de l’Etat. Dans la perspective du 28° congrès, qui doit se tenir en 1971, une ouverture du mouvement sioniste vers ceux qui soutiennent Israël, sans désir d’Alya, est donc rendue possible : « Il a été formé le projet de constituer un Conseil de la Jeunesse Sioniste en France. Si la participation à ce Conseil ne pose aucun problème à tous les mouvements sionistes et haloutsiques, l’adhésion de mouvements communautaires et nationaux, comme le nôtre, soulève plusieurs difficultés qu’il est aisé de deviner.»
Des contacts sont pris avec le D.E.J.J. et le Centre Communautaire afin de créer en commun une « organisation communautaire sioniste ». Des conflits liés à la place de Lynclair dans cette organisation empêchent son aboutissement, et les E.I. décident donc de créer la Jesic. Cette expérience, finalement, n’ira pas très loin. Elle est témoin cependant de la présence du sujet dans les préoccupations du Mouvement. Cependant, cette préoccupation reste, le plus souvent, éducative, et les responsables du Mouvement désireux d’aller plus loin dans leur engagement vis-à-vis d’Israël en sont réduits à des actions individuelles, par exemple dans le domaine de l’Alya, ou à chercher des possibilités auprès des organisations qui sont plus engagés politiquement. Pourtant, à l’intérieur même du Mouvement E.I., une ligne de fracture commence à se préciser entre ceux qui se veulent des inconditionnels de l’Etat d’Israël et ceux qui prônent une position plus critique. Déjà sensible dans les débats du C.N. de 1969, ce fossé va s’élargir de plus en plus, sous l’effet, entre autres, des changements provoqués par l’évolution de la société extérieure, et, en premier lieu, l’impact de mai 1968, et de la période qui suit cet événement.
Au sein de la jeunesse juive proche des E.I., l’impact immédiat des événements de Mai demande à être nuancé. Bien sûr, les cadres des E.I. sont aussi des étudiants ou des lycéens, et ils participent aux manifestations, meetings et autres occupations de faculté, de ce tourbillon de quatre semaines qui reste avant tout comme le grand happening de la liberté d’expression. Mais ces jeunes, qui sont également des militants juifs, et qui se veulent être des éducateurs, réagissent aussi en fonction de leur identité particulière. Ainsi, malgré les circonstances, les activités continuent à être encadrées pendant toute la période des grèves. Aucun camp n’est supprimé, et seules les différentes formules de voyage en Israël devront être regroupées en un seul voyage, du fait du désistement de nombreux participants, par suite du report des dates d’examens. Cette situation de stabilité tranche avec d’autres mouvements, les E.E.D.F. par exemple, dont les activités semblent avoir été particulièrement perturbées par Mai 68.
Deuxième regard plus spécifique des étudiants E.I. : le problème israélien. L’ouverture de stands pro-palestiniens dans la cour de la Sorbonne pose des questions à une bonne part de ceux-là, et certains militent beaucoup pour la défense d’Israël pendant toute cette période. Cette question israélienne aboutit même à une action du mouvement, lorsque, début juin 1968, on craint des affrontements entre Juifs et Arabes à l’occasion du premier anniversaire de la victoire israélienne. Tandis qu’une réserve d’armes improvisées (manches de pioches, casques, etc) est constituée au quartier général de l’avenue de Ségur, au cas où il y en aurait besoin, une délégation du Q.G. se retrouve à Belleville lorsque des incidents entre communautés éclatent dans la première quinzaine de juin :
« D’une certaine façon, nous avons pris beaucoup plus au sérieux les bagarres judéo-arabes que les manifestations des étudiants.» (Témoignage de Gilbert et Iona Dahan)
Le troisième regard, c’est la traduction de la contestation au niveau des organismes communautaires. Une occupation des locaux du Consistoire étant organisée par un certain nombre d’étudiants juifs, dont une bonne partie de cadres E.I., le mouvement publie une motion le 24 mai 1968, qui est à la fois une approbation prudente de cette action, et une tentative de récupération de la contestation pour la reformuler dans un cadre éducatif :
« Le Mouvement des Éclaireurs israélites de France se déclare solidaire de l’action menée par des jeunes Juifs qui occupent les locaux du Consistoire Israëlite de France, action qui a déclenché un processus irréversible de contestation des structures actuelles de la Communauté.
Le Mouvement des E.I.F. approuve l’attitude prise par un certain nombre de ses responsables qui ont participé à cette occupation et estime qu’ils ont été en cela fidèles à ses principes éducatifs de contestation, de participation et d’engagement communautaire.
Le Mouvement des E.I.F considère cependant que la seule issue possible à cette action est que ceux qui s’y sont engagés opèrent la jonction avec les forces vives de la jeunesse juive c’est-à-dire avec les mouvements de jeunesse.
Cette jonction est nécessaire afin de ne pas compromettre, par des actions dispersées, l’ensemble de ces remises en question.
Le Mouvement des E.I.F. invite l’ensemble des mouvements de jeunesse de la communauté et tous les jeunes juifs conscients de leur appartenance à cette communauté, au premier chef ceux qui occupent les locaux du Consistoire, à engager une action commune. Celle-ci nous permettra de présenter aux instances communautaires un ensemble cohérent de propositions visant à assurer la participation des jeunes à la gestion de leur communauté.»
Sur le plan concret, ce Mai 68 communautaire aura peu de répercussions sur la communauté :
« La mise en accusation des Consistoires et du F.S.J.U. et l’occupation de leurs locaux à Paris par des groupes de jeunes gens ont eu à peu près pour seul résultat la suppression des choeurs mixtes et de l’orgue à la synagogue de la Victoire.»
Par contre, l’influence de l’esprit de Mai 68, qui pénètre en grande partie la société française, accélère le processus de remise en cause du système éducatif scout traditionnel. Les processus entamés depuis quelques années vont s’accélérer, entraînant l’effondrement rapide de toute une partie de l’édifice scout traditionnel (…)