Ce fut d’abord, comme on le sait, une « drôle de guerre », caractérisée, sur le front occidental, par un calme précédant l’orage. Ce fut aussi une « drôle de conception de la guerre », manifestée par certains pontifes qui semblaient veiller, par esprit chevaleresque, à ce qu’on ne dît de Messieurs Hitler et Mussolini rien qui leur fît une peine, même légère.
On mobilisa pour la seconde fois, car un an auparavant, au moment des trop fameux « Accords de Munich » (d’où le ministre britannique déclarait rapporter la paix pour un quart de siècle !), on avait déjà procédé à une mobilisation partielle.
Cette fois-ci, ce fut le départ aux armées pour de bon, malgré un certain scepticisme et sans le moindre enthousiasme de la population qui, dans son ensemble, ne voulait pas se sentir en guerre.
Parmi les français mobilisés qui se rendaient parfaitement compte de la situation, en dépit des apparences rassurantes, se trouvait naturellement Robert Gamzon. Une douzaine d’années auparavant, il était passé par l’Ecole d’Officiers du Génie à Versailles; il en était sorti officier de transmission. C’est donc en cette qualité qu’il fut mobilisé et affecté à l’état-major de la 4ème armée.
Pour Gamzon, comme pour d’autres militaires et civils, Hitler représentait l’ennemi juré de tout ce qui lui était sacré, de sa raison d’être même : France, judaïsme, liberté, démocratie. Il était donc prêt à se battre. Mais on ne se battait pas – pas encore. Pendant les mois de la « drôle de guerre », on demeurait sur le qui-vive.
Gamzon, tout en occupant le poste voulu dans son unité, demeurait « Castor soucieux », non sans avoir soumis à son état-major sa dernière découverte technique qui pouvait faciliter le repérage souterrain de l’ennemi, et qui fut acceptée par ses supérieurs.
Gamzon eut le loisir de diriger – par lettres – le « mini » état-major de son Mouvement E.I.F., plus « mini » que jamais puisque la plupart des chefs étaient mobilisés (par la suite, plusieurs d’entre eux tombèrent dans les combats). Ce furent les cheftaines, leurs épouses, qui les remplaçaient, et en premier lieu – comme il se doit – l’épouse de Castor.
Elles furent à la hauteur de leur tâche. Le repliement des enfants pour lesquels les trois centres prévus avaient été aménagés dans le sud-ouest, s’effectua sans encombre. Le chantier de Saumur continuait à fonctionner avec les étrangers seulement, avant qu’ils fussent mobilisés eux aussi – ou qu’ils s’engageassent. Les formations scoutes, ainsi que chacun de leurs membres, se tenaient prêtes à toute éventualité.
Au cours de ses brèves « permissions », Castor constatait les réalisations, supervisait, donnait des ordres pour le proche avenir. Le siège des E.I. constituait pour bon nombre de jeunes Juifs (et de moins jeunes) une sorte de forteresse, d’éventuel dernier carré. « Au cas où il faudra défendre sa vie, c’est là – parmi et avec cette magnifique jeunesse – qu’on le fera. »
Si, dans l’atmosphère lourde de cet hiver chargé de périls encore incertains, le travail à accomplir était surtout d’ordre matériel et administratif, (tout d’abord l’entretien des nouvelles maisons d’enfants), Castor entendait ne pas négliger la formation spirituelle de ses collaborateurs. C’est ainsi que, derrière les vitres barbouillées de bleu, par crainte des bombardements possibles, cheftaines et chefs (provisoirement disponibles) se réunissaient en un cercle d’études.
Un cours prolongé sur les Dix Commandements mosaïques les tenait en haleine. Approfondir le Décalogue alors qu’on s’attendait à voir surgir les bombardiers allemands, voilà qui en dit long sur l’esprit qui animait ces jeunes gens !
Il y eut aussi un épisode insolite à l’avenue de Ségur. Dès la déclaration de guerre, l’activité artistique dans la capitale s’était trouvée bouleversée. Une foule de musiciens professionnels d’origine étrangère perdirent leur gagne-pain.
Parmi eux, des instrumentistes juifs de valeur. Une caisse de secours avait été organisée et ils venaient, chaque semaine, discrets, gênés, pour toucher la maigre allocation qui leur permettait tout juste de ne pas mourir de faim. L’idée vint à l’un des musiciens de constituer un orchestre, ce qui donnerait du travail aux chômeurs, les rendrait utiles à la société (aux soldats mobilisés par exemple) et sauvegarderait leur dignité.
Pour les répétitions, le choix se porta sur le vaste local E.I. Et quelques jours après, on y vit arriver hommes et femmes chargés de presque tous les instruments requis pour un ensemble symphonique. Un chef d’orchestre viennois était parmi eux qui prit aussitôt la baguette.
En un temps record, comme si tout le monde avait hâte de retrouver ne fût-ce qu’un semblant de vie normale, la maison retentit des accents de « Eine kleine Nachtmusik » de Mozart. Tous les occupants de la maison restèrent pétrifiés par ce soudain jaillissement musical. Mozart était déjà si loin !
Cela se passait au printemps 1940. Une ou deux semaines après, les hordes germaniques déferlaient sur la France, balayant toutÉ
Castor était alors au front, en pleine bataille. Il réussit là un exploit de taille.
Alors que leur unité se repliait vers le sud, Castor et quelques camarades ne purent supporter de laisser le magnifique central téléphonique souterrain de Reims aux mains des Allemands : après avoir discuté par téléphone avec les ministères compétents, ils firent sauter le Central au moment même où les premières motocyclettes allemandes entrèrent dans Reims, puis s’enfuirent en camionnette.
Cette action valut à Gamzon et à un de ses compagnons la Croix de Guerre. Après la grande tourmente, on a retrouvé dans les papiers de la Reichswehr une note révélant que la démolition de ce Central avait beaucoup gêné les envahisseurs allemands.